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gens, écrivait-il à don Juan d’Autriche, qui croiront se faire honneur en vous adressant des paroles magnifiques. Si votre excellence ne s’arme pas d’avance contre ces excitations, elle s’en trouvera très mal, je l’en préviens. Que votre excellence comprenne que les premiers ennemis contre lesquels il lui faudra lutter seront ses propres soldats, toujours prêts à lui conseiller de combattre hors de propos. Pour peu qu’elle hésite alors à suivre leur avis, elle doit se préparer à braver leurs murmures, à les entendre s’écrier avec amertume « qu’elle perd les occasions. » Puis la plupart s’en iront répétant : « J’étais d’avis qu’on livrât bataille, j’ai conseillé de ne pas laisser échapper une occasion qui ne se retrouvera peut-être plus. » J’avoue que votre excellence me paraît bien jeune pour résister à de pareils assauts. Nous-mêmes vétérans, nous en éprouvons souvent de grands embarras ; mais que votre excellence se souvienne qu’elle descend d’un père qui lui a donné, avec la naissance, le cœur d’un soldat et le droit de s’élever au-dessus des calomnies. » Entre les préceptes de Léon le Philosophe et les conseils si différens du vieux duc de fer, on pourrait se trouver embarrassé. Les leçons de l’histoire ne seront pas de trop pour éclaircir la question.

Le cercle est formé dans l’ordre rigoureux des préséances. Mardonius va de l’un à l’autre, recueillant, selon qu’il lui a été enjoint, les opinions ; il vient ensuite rapporter textuellement au roi ce qu’il a entendu. La dignité de Xerxès ne permettait pas qu’il interrogeât lui-même ses capitaines. L’assemblée s’est montrée à peu près unanime : « Il faut sans tarder aller attaquer les Grecs. » Artémise presque seule a le courage d’exprimer un avis contraire. « Pourquoi affronter les chances toujours incertaines d’un combat, quand il suffit d’attendre quelques jours pour voir la flotte confédérée se dissoudre ? Ces vaisseaux, on les représente comme une proie toute prête sur laquelle, dès qu’on le voudra, il n’y a plus qu’à étendre la main : on devrait se souvenir qu’il n’a pas été déjà si facile d’en venir à bout dans les eaux de l’Eubée. Ne sait-on pas que les vivres des Grecs tenus à distance du continent s’épuisent, que leurs chefs, plus que jamais divisés, ne cherchent qu’un prétexte pour rompre le pacte qui unit leurs escadres ? Le roi possède Athènes ; il peut, dès ce moment, prendre ses quartiers d’hiver et remettre à une autre campagne la conquête du Péloponèse. » La sincérité courageuse dont Artémise, en cette occasion, faisait preuve, ne déplut pas, comme les ennemis de la reine l’avaient espéré, au jeune et puissant souverain des Perses. Charmé au contraire de trouver tant de sagesse unie à tant de vaillance, Xerxès déclara la reine d’Halicarnasse plus que jamais digne de son estime. Il la loua, et suivit