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flotte des Phéniciens, des Égyptiens, des Ciliciens, des Paphlagoniens, des Cariens, des Ioniens, des Grecs même qui voguent et qui tiennent le timon : les Perses seuls combattent ; les Perses seuls commandent. Dans cette troisième journée où la flotte de Xerxès poussa son attaque à fond, le succès fut chaudement et opiniâtrement disputé. Il resta indécis. La reine Artémise se multiplia en vain. Sa vaillance fit l’admiration de l’armée ; elle ne parvint pas à fixer la fortune.

Les Grecs demeurèrent en possession du champ de bataille. Épuisés cependant par un triple combat, ils renoncèrent à défendre plus longtemps le passage de l’Euripe et les abords des Thermopyles. Pourquoi d’ailleurs auraient-ils prolongé davantage leur résistance ? Les Thermopyles venaient de tomber au pouvoir de l’ennemi. Un grand général a dit que la guerre n’était qu’une succession d’effets moraux. L’effet moral de cette première défaite était tout en faveur de la Grèce. 4,000 hommes avaient arrêté pendant plusieurs jours une armée. Au pied des retranchemens gisaient 300 Spartiates le visage encore tourné vers l’ennemi. « Je sais leurs noms ! » s’écrie Hérodote. Il aurait dû nous les dire. C’étaient tous gens de cœur, pleins d’un sang généreux et criblés de blessures. Nul ami n’a pris soin de glisser dans leur main glacée l’obole indispensable. Ne sois pas trop exigeant, Charon ; saisis au plus vite ta rame et hâte-toi de leur faire traverser le fleuve ; Achille s’impatiente aux champs Élysées et se demande déjà pourquoi tu les retiens si longtemps sur la rive. Tu n’as pas souvent, vieux nocher des enfers, de semblables aubaines. Bien des siècles s’écouleront avant que tu puisses recevoir dans ta barque des passagers dignes d’aller rejoindre ceux qui se présentèrent ce jour-là sur les bords du Styx. Il faut que tu attendes deux mille trois cent trente-cinq ans les zouaves du pont de Traktir.

La nation grecque se trouva montée par l’exemple de Léonidas et de ses compagnons à un paroxysme d’énergie. Et pourtant les Perses aussi s’étaient bien battus. La garde impériale de Xerxès, les Immortels, avait assailli de front la position que d’autres tournaient. Leurs cadavres pressés auraient dit l’acharnement dont ils avaient fait preuve, si Xerxès ne se fût hâté de les faire inhumer. Le spectacle d’une pareille hécatombe donnait une trop haute idée des sacrificateurs. « Que pensez-vous, milord, de ces nobles cicatrices ? demandait le régent de France à l’ambassadeur d’Angleterre, en lui montrant les vétérans abrités sous le dôme des Invalides. — Je pense, répondit lord Stairs avec son flegme hautain, à ceux qui les ont faites. » Un soldat mutilé assistait silencieux à cet entretien ; ses lèvres frémissantes laissèrent échapper