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chose. Ils adoptèrent la tunique de lin et la cigale d’or dans les cheveux, déjà pareils à ces bons insulaires des Lou-Tchou dont la calme béatitude faisait, en 1820, pleurer le capitaine Basil Hall de tendresse. Les Locriens-Ozoles, les Étoliens, les Acarnaniens, continuèrent d’être les Monténégrins de l’époque. Ils ne déposèrent même pas leurs armes pour s’étendre sur leur couche ou pour prendre place à la table du festin. Le monde, à toute époque, nous offre des peuples dans l’enfance, des nations adultes et des civilisations qui périssent. Sans fouiller les tombeaux, sans déblayer les hypogées enfouis, nous pouvons demander à la Polynésie l’histoire des pirates hellènes, normands, scythes ou sarrasins ; la Polynésie nous rendra tout cela sous une forme vivante. Les Sarrasins pourtant, au dire de l’empereur Léon, « se servaient de grands bâtimens, pesans et tardifs à la course ; les Scythes en avaient de moindres et de plus légers avec lesquels ils descendaient les fleuves pour entrer dans le Pont-Euxin. » Là gît toute la différence. Gravée sur les rochers de la Norvège ou sur le granit égyptien « aux bouches sablonneuses du Nil, » recueillie par les historiens de Byzance ou conservée par les traditions polynésiennes, l’histoire de la piraterie est partout la même. Les champions que le Viking éprouve avant de les laisser monter sur son vaisseau et les guerriers d’Homère courbés sous le poids de la pierre qu’ils soulèvent, ce sont des héros contemporains. Prêtez l’oreille : vous entendrez encore le péan solennel, le chant de guerre qui s’entonne à l’heure du combat, le chant de mort où le vaincu brave dans les tourmens le vainqueur qui l’a fait prisonnier. La piraterie a donné des empereurs à la Chine, des rois aux îles Sandwich, des auxiliaires aux maîtres de l’Égypte, des oppresseurs à la Grande-Bretagne, des ducs à la France, des cheiks à toutes les villes de la Barbarie. Pour la dompter, il a fallu tour à tour Minos, Pompée, Alfred le Grand, Robert le Fort, don Jayme, Charles X.

Les barques des pirates étaient rapides ; on en fabriqua de pontées. La couverte abrita le rameur contre les traits dont les parois du pentécontore le défendaient mal ; la couverte offrit en même temps un champ de bataille plus libre à l’hoplite. Le dromon, et probablement aussi la trière, ne furent que des pentécontores à deux étages. Quel est le Dupuy de Lôme qui le premier fit descendre des chantiers ce vaisseau de ligne ? Était-il d’Erythrée ? Avait-il vu le jour à Corinthe ? Peu importe. Ce qui est incontestable, c’est que le grand justicier des mers a paru. A dater de ce moment, il n’est pas bienséant de répondre aux gens qui vous interrogent : « Je suis pirate. » C’était bon au temps de Thésée et des Argonautes. Aujourd’hui que la puissance de Samos, de la