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appelée à concourir directement et par ses seuls moyens à la défense nationale. Se figure-t-on au contraire le parti qu’un génie tel que celui de Napoléon Ier eût pu tirer d’une flottille semblable à la flottille de Boulogne, dans les diverses guerres qui ont occupé ce siècle, si les chaloupes canonnières construites sur les rives de la Manche avaient été munies d’appareils à vapeur, au lieu d’en être réduites, comme au temps de Sémiramis et d’Agamemnon, à se mouvoir sous l’action des propulseurs à bras ? Le monde a été longtemps immobile ; aujourd’hui la terre tourne vite, et, quoique des esprits chagrins puissent être tentés de croire qu’elle tourne à l’envers, nous n’en sommes pas moins obligés de nous conformer à son allure.

Il n’y a eu qu’une marine à rames, sauf de bien légères modifications ; cette marine a duré quatre ou cinq mille ans. C’est que l’invention de la rame était à elle seule un grand pas dans l’art de la navigation. Après de pareils progrès, l’imagination humaine généralement se repose. Si quelque besoin nouveau ne vient pas la pousser impérieusement à un nouvel effort, elle s’endort complaiamment dans sa conquête. Les anciens ont eu, comme le moyen âge, leurs vaisseaux ronds et leurs vaisseaux longs, leurs navires à voiles et leurs bâtimens à rames. Pour le commerce, il a fallu quelque chose d’analogue à la jonque chinoise ; pour la piraterie, pour la guerre, on a senti la nécessité d’être plus agile, moins esclave des caprices si souvent inopportuns du vent. L’instinct des peuples s’est rencontré sans s’être donné le mot. Les Pélasges ont construit leurs pentécontores, les Normands leurs drakars, les Polynésiens leurs pirogues. L’avantage est aux Polynésiens, quand il s’agit d’utiliser la brise. Leurs grands esquifs volent réellement sur l’eau ; ils s’y balancent avec une sûreté, une aisance, que n’ont jamais connues les vaisseaux de l’antiquité ; ils n’y sont pas maîtrisés, comme les dragons du nord, par le souffle qui les entraîne. Frappée obliquement, leur voile conserve son action et perd à peine quelque chose de sa puissance. Mais où le sauvage de l’Océanie se montre inférieur, c’est quand il essaie d’avancer à force de bras sur une mer immobile. La pagaie dont il se sert laboure l’onde à coups précipités ; la rame prend la mer pourpoint d’appui et pousse l’embarcation en avant avec toute l’énergie d’un levier.

La navigation fluviale a dû précéder de plusieurs siècles la navigation maritime. Les pauvres créatures déshéritées qui errent sur les côtes de l’Australie et sur celles de la Terre-de-Feu n’ont pas encore été tentées d’affronter les colères de l’Océan. Elles se bornent à ramasser les coquillages jetés par la tempête sur la plage ou aies détacher des roches auxquelles le mollusque adhère. Les