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pris par instans leur place dans les affaires contemporaines. Lorsqu’au siècle dernier on commençait le partage de la Pologne, l’acte se préparait et s’accomplissait en secret. Il restait l’œuvre particulière des trois complices qui s’associaient au démembrement d’un pays, et encore au moment de signer, de mettre le placet, l’impératrice Marie-Thérèse, émue de son action, inquiète de l’avenir, se couvrait elle-même des conseils des « hommes sages » qui la pressaient. Aujourd’hui, on y met moins de façons, et le moins scrupuleux des diplomates, M. de Talleyrand, se trompait lorsqu’il disait, il y a bien des années, que le partage de la Pologne ne serait plus possible de notre temps, « à cause de la liberté de la presse. » La liberté de la presse existe, et c’est en plein congrès qu’on dispute paisiblement des provinces et des territoires. Il y a quinze ans, l’Angleterre abandonnait volontairement, avec une libérale générosité, les îles ioniennes, Qu’elle rendait aux Grecs ; aujourd’hui elle va prendre possession de l’île de Chypre ! Il y a vingt-cinq ans, un congrès terminait une grande guerre par une paix équitable, et pas un des vainqueurs ne songeait à exercer les droits de la conquête ; maintenant les annexions violentes sont un procédé recommandé par les politiques habiles : la conquête et la force ne laissent pas d’être en honneur, et ce serait un étrange progrès si après cette « ère de fer » où nous semblons être rentrés depuis quelque temps, il n’y avait un réveil de ces sentimens d’équité qui ont pu sans doute se faire entendre jusque dans le congrès de Berlin, mais qui en définitive n’ont pas eu le dernier mot.

Qu’on le remarque bien : nous ne parlons de ces affaires du moment qu’avec une entière liberté d’esprit, sans aucune préoccupation française, puisque bien évidemment la France n’avait rien à demander, rien à attendre à Berlin, puisqu’après tout elle n’était là que pour ne pas rester étrangère à une grande transaction européenne. C’était le rôle naturel de ses plénipotentiaires de demeurer dans le congrès des observateurs attentifs, des coopérateurs très circonspects, et nous sommes bien convaincu qu’ils ont rempli ce rôle, qu’ils ne l’ont pas dépassé. Quand ils ont eu à manifester une opinion au nom de la France, ils ont dû parler simplement, sans subterfuge inutile. Si on a fait appel à leurs lumières, ils ne les ont pas refusées. Ils paraissent avoir été invités en plusieurs circonstances à chercher des solutions conciliatrices et à préparer des rapprochemens sur des points délicats : rien de plus simple assurément. Ce qu’ils ont fait, ils ont dû le faire avec autant de discrétion que de mesure. Ils seraient même intervenus quelquefois moins directement que rien n’eût été perdu, et on nous permettra bien de ne pas prendre trop au sérieux des congratulations un peu hyperboliques échangées au sujet de la liberté assurée aux israélites dans les régions danubiennes. Notre pays n’en est point heureusement à se payer de ces petits succès et à chercher