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puis la révolution française l’Europe avait été presque entièrement refondue, bouleversée, transformée, où des souverainetés avaient disparu, où tout un ordre diplomatique avait été effacé par la guerre ou par les traités. Le congrès de Vienne avait toute liberté, il exerçait une véritable dictature, et malgré tout, malgré bien des abus, il sortait des délibérations de cette assemblée une œuvre assez mesurée, assez prévoyante pour assurer une longue paix à l’Europe. Le congrès de Paris en 1856 a certes marqué plus que tout autre par l’esprit d’équité et de modération. On ne se plaisait pas à démembrer et à humilier le vaincu, on l’entourait au contraire de considération, on ménageait ses intérêts ; on ne lui demandait, qu’un fragment de territoire destiné à garantir la liberté de la navigation du Danube, et ce congrès, bien que réuni sous un gouvernement qui n’avait rien de libéral pour nous, a laissé les souvenirs d’une généreuse et libérale assemblée. Le congrès de Berlin n’aura sûrement place dans l’histoire ni pour une reconstitution européenne, comme le congrès de Vienne, ni pour une paix d’équilibre oriental, comme le congrès de Paris. On aurait pu sans doute supposer à M. de Bismarck l’ambition d’éclipser ou d’égaler ces exemples. On aurait pu croire que, puisque comme tous les victorieux et les prépotens il voulait avoir ses grandes assises diplomatiques à Berlin, il aurait tenu à décorer sa carrière d’un lustre de plus, de l’éclat d’une délibération assurant quelque bienfait durable à l’Europe Oui, on aurait pu penser qu’avec son ascendant et sa puissance de volonté il aurait pu perpétuer le souvenir du premier grand congrès réuni dans le nouvel empire d’Allemagne autrement que par un tableau commandé à un de ses peintres. M. de Bismarck n’est pas l’homme de ces chimères et de ces ambitions inutiles, il tient au positif. Il a voulu faire de son congrès une réunion pratique, s’inquiétant peu des principes et de l’ostentation, allant au but le plus vite possible, assurant le résultat du moment, le seul compatible avec les intérêts et les ambitions en présence. M. de Bismarck a mis dans tout cela son esprit réaliste, lord Beaconsfield y a mis ses fantaisies, ses imaginations audacieuses, et au fond, le congrès de Berlin reste ce qu’il est, le congrès d’un partage commencé, des annexions déguisées, des conquêtes sanctionnées, des compétitions organisées autour de la succession de « l’homme malade. »

Chose étrange et tristement caractéristique ! on parle bien souvent des progrès qui se réalisent chaque jour dans la vie internationale comme dans la vie sociale, et assurément il y a eu dans notre siècle des périodes ou les idées de droit et de justice fascinaient les esprits, où elles passaient même quelquefois dans la politique. Il n’en est pas moins certain que depuis quelque temps, à mesure que le siècle vieillit, il y a des déviations singulières, que la conquête et la force ont re-