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l’Orient. Du côté de l’Arménie, la Russie, en prenant Batoum et Kars, a donné à l’Angleterre le prétexte de prendre Chypre, de se déclarer la protectrice des provinces asiatiques, et l’Angleterre, en assumant tout haut ce protectorat qui l’engage, fait sentir a la Russie l’impruence de ses conquêtes. Par ses résolutions aussi audacieuses qu’imprévues, l’Angleterre dit aussi crûment que possible à la Russie qu’elle ne peut pas aller plus loin. Les deux puissances restent plus que jamais et vont rester face à face sur le terrain, dans les conseils, dans les négociations, dans les intrigues de Constantinople, de sorte que la lutte est partout. Voilà où conduit pour le moment une guerre que la Russie, dans un mouvement de tardive sagesse, n’a pas voulu pousser plus loin et qu’elle aurait mieux fait de ne pas commencer.

Il faut dire le mot : ce n’est ni une solution de la question d’Orient, ni même une paix sérieuse, destinée à obtenir le respect du monde ; c’est un acte nouveau dans le drame oriental, une trêve sang garantie entre des politiques qui se hâtent de s’assurer des portions et des gages, qui accourent à la liquidation d’un empire, C’est une halte dans le partage, et en réalité c’était peut-être ce qui devait sortir d’un conclave diplomatique auquel le chancelier d’Allemagne avait donné d’avance pour devise le significatif et retentissant ; Beati possidentes ! Pour posséder et pour garder, il faut d’abord prendre ; chacun s’est empressé de prendre, et la diplomatie arrête pour le moment les comptes ! M. de Bismarck, quant à lui, peut être jusqu’à un certain point satisfait. S’il n’est pas parmi les benti possidentes, au moins en Orient, il ne voit à coup sûr rien d’inquiétant pour ses desseins dans toutes ces combinaisons qui viennent d’être adoptées. Ce n’est pas l’Autriche s’embarquant dans le fourré oriental et allant chercher de l’occupation en Bosnie, ce n’est pas cela qui peut le gêner, il aurait plutôt hâté la marche de l’Autriche vers l’Orient. Ce n’est pas l’antagonisme déclaré entre la Russie et l’Angleterre qui peut le troubler, rien ne peut mieux lui convenir. Pour lui, il a ce qu’il voulait ? il a d’abord la paix dont il a besoin, puis un certain état de l’Europe qui lui laisse une assez grande liberté, Cela lui suffit, il ne demandait rien de plus à la diplomatie dont il vient de diriger si gaillardement les travaux, et à vrai dire, dans ces conditions, le congrus de Berlin n’est peut-être pas destiné à laisser les traces les plus glorieuses dans l’histoire.

Il y a eu d’autres congrès qui se sont réunis dans des circonstances aussi difficiles et qui font une figure un peu différente, qui se sont signalés par leurs œuvres. Le congrès de Vienne en 1815 a été sans doute l’objet de bien des sévérités, de bien des accusations. On lui a plus d’une fois reproché justement ses combinaisons inspirées par des calculs ambitieux, ses remaniemens arbitraires, ses distributions de puissance et de territoires ; mais il se réunissait à un moment où de-