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demi sérieuse, à peu près durable ? Si c’était la paix réelle que le monde désire, ce serait assurément le premier des bienfaits. Que la dernière guerre soit unie, que la question d’Orient puisse être mise pour quelque temps en réserve, c’est possible ? elle n’est point certainement résolue et elle ne peut pas l’être par un acte de diplomatie conçu de façon à mettre en présence tant d’intérêts rivaux sans les concilier sérieusement, à constater et à organiser de puissans antagonismes dans une liquidation toujours ouverte. C’est là en effet la situation difficile, laborieuse, qui parait devoir résulter fatalement des combinaisons da Berlin. Il ne suffit pas de tracer des frontières nouvelles, de disloquer des provinces, de nommer des commissions ou d’autoriser des occupations ; la crise ne subsiste pas moins dans sa gravité, avec ses élément multiples, avec ses irrémédiables incohérences. On aurait beau se faire illusion, la réalité éclate.

Cet empire ottoman humilié, diminué, amputé, atteint dans sa force matérielle et dans sa force morale, de quoi peut-il vivre ? par quel miracle peut-il se soutenir dans les conditions où on le place ? comment concilier ces plans de réformes qu’on a si souvent essayé de lui imposer, dont on va cette fois diriger pour lui l’exécution, et la souveraineté indépendante qu’on lui laisse ? Et autour de cet empire en déclin ou en interdit, quelles sont les populations qui n’aient un grief, un mécompte, une ambition trompée et inassouvie, qui au premier signal ne soient prêtes à se jeter dans toutes les aventures ? Les Roumains, qui ont payé de leur sang leur alliance avec la Russie, et à qui le cabinet de Saint-Pétersbourg prend d’autorité un territoire précieux, les Roumains en sont pour leur déception ; ils sortent aigris de la lutte avec la maigre compensation de la Dobrutscha. Les Hellènes, à qui on avait beaucoup promis et à qui en fin de compte on donne assez peu sous la forme d’une rectification des frontières, les Hellènes ne sont rien moins que satisfaits. Les Monténégrins, les Serbes, bien que dédommagés et agrandis aux dépens du Turc, n’ont pas tout ce qu’ils voulaient, tout ce qu’ils attendaient après tant d’efforts ruineux et de combats sanglans. Voici la Bulgarie, la principauté nouvelle de création russe ; elle existe à peine, elle n’est pas sérieusement constituée, et déjà les plaintes, les ressentimens éclatent. Les panslavistes parlent de recommencer les agitations, les propagandes meurtrières, les incursions au-delà de cette ligne des Balkans rendue ou laissée aux maîtres affaiblis de Constantinople. Ce n’est pas tout : entre les grandes puissances, en Europe comme en Asie, l’état d’observation et de défi est désormais avoué, régulièrement constitué. L’occupation de la Bosnie par les Autrichiens peut être considérée tour à tour, selon la politique qui prévaudra à Vienne, selon les circonstances, comme une menace pour les Russes ou comme une participation à l’œuvre commune du démembrement de