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quera pas de bonnes raisons pour l’expliquer un de ces jours devant le parlement impatient de l’entendre. Plus que tout autre depuis quelque temps, il a relevé la politique de son pays ; il a fait sentir de nouveau la puissance de l’Angleterre, et, s’il met dans sa diplomatie un peu de son imagination et de son humeur audacieuse, s’il traite parfois les affaires comme une fiction dramatique, c’est une originalité de plus de ce vieillard plus que septuagénaire qui a commencé par des romans pour arriver à être le premier ministre de l’empire britannique, presque un héritier des traditions de Chatam. Lord Beaconsfield est à coup sûr aujourd’hui un grand Anglais ; il vient de le prouver par cette convention anglo-turque du 4 juin qui a éclaté sur le congrès, et par cette prise de possession de l’île de Chypre. Il n’est pas moins vrai qu’avec tout cela nous sommes un peu loin de ce moment où le chef du cabinet de Londres et lord Salisbury embrassaient avec une si énergique ampleur dans leurs circulaires, dans leurs discours, les intérêts généraux de l’Europe et les intérêts anglais, où lord Beaconsfield rappelait comme un exemple l’indomptable fermeté avec laquelle lord Palmerston avait refusé de laisser la Bessarabie des bords du Danube aux mains de la Russie en 1856. « Lord Palmerston, disait-il, défendit cette clause avec une telle énergie que le congrès de Paris risqua de se dissoudre à cause des efforts de la Russie pour en obtenir l’annulation. » Oui, en vérité, nous sommes un peu loin du temps où lord Beaconsfield parlait ainsi, où l’on pulvérisait le traité de San-Stefano. Le traité de San-Stefano subsiste, sinon dans son intégrité du moins dans ses principes, dans quelques-unes de ses dispositions essentielles. La Russie a repris décidément cette portion de la Bessarabie pour laquelle lord Palmerston menaçait de dissoudre le congrès de Paris en 1856 ; elle a Batoum avec Kars. L’Angleterre a passé condamnation sur tous ces points. Eh revanche, il est vrai, elle est à Chypre, elle compte un grand poste maritime de plus dans la Méditerranée ! Qu’on nous comprenne bien : nous ne prétendons pas que lord Beaconsfield, ne pouvant vaincre les résistances de la Russie sur certains points, ait eu tort de chercher ailleurs une compensation pour l’Angleterre, d’affirmer par un coup imprévu l’ascendant britannique. C’était son rôle de ministre anglais, et il l’a rempli avec autant de dextérité que de hardiesse. Ce qui reste évident, ce que nous voulons simplement dire, c’est qu’après tout, dans ce congrès de Berlin, il a pu être question quelquefois, par une sorte de tradition, des intérêts généraux de l’Europe, mais la parole a été avant tout aux intérêts russes, aux intérêts autrichiens, aux intérêts anglais, qui ne se sont entendus que pour chercher tour à tour une satisfaction ou une garantie dans la dissolution d’un empire.

Que peut-il sortir maintenant d’une délibération souveraine engagée et poursuivie dans ces conditions ? Est-ce bien la paix, une paix à