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victorieuse, on n’en pouvait douter, on le savait d’avance ; mais cette part faite à la victoire devait nécessairement désormais se concilier avec les principes les plus essentiels des anciennes transactions, avec les intérêts européens. Ce qu’on ferait ne pouvait aller jusqu’à une révolution de l’Orient accomplie au détriment de tous les droits et de la sécurité de l’Occident.

C’était là tout au moins l’apparence au moment où le congrès est redevenu possible. Quelle est la réalité au contraire ? À peine le congrès est-t-il réuni, tout change de face. Ces anciens traités de 1856 et de 1871 dont on s’était armé contre le traité de San-Stefano ne sont plus qu’un mot ; on n’en parle que pour les rejeter lestement dans l’histoire. Les intérêts européens ne servent guère qu’à déguiser les combinaisons particulières. Toutes les prétentions se réveillent à la fois. Des coups de théâtre, qui ne sont peut-être une surprise que pour la galerie, révèlent une série d’arrangemens secrets par lesquels on s’était entendu d’avance sur ce qu’on pouvait se permettre mutuellement. Le dernier mot de ce travail étrange est près d’être dit, et il se trouve en définitive que ce qu’on fait ressemble moins à une paix sérieuse, à demi équitable, qu’à une trêve des ambitions et des convoitises autour de ce tapis vert où le chancelier d’Allemagne préside avec des apparences de désintéressement superbe et ironique à une sorte de curée. Voilà, il faut l’avouer, la triste vérité, et si l’opinion trop souvent déçue, trop souvent abusée, se montre aujourd’hui défiante et sceptique à l’égard de cette œuvre nouvelle de diplomatie qui va reconstituer l’Orient dans des conditions inattendues, c’est que ce qui vient de se passer à Berlin n’a réellement rien de beau ni même de rassurant.

Précisons, si l’on veut, les arrangemens qui vont bientôt s’appeler le traité de Berlin, où les petits, les Serbes, les Roumains, les Hellènes, les Monténégrins, ont été un peu sacrifiés, et où les plus habiles, les prépotens n’ont paru occupés que de se faire une part proportionnée à leur situation, à leurs intérêts ou à leurs ambitions. Trois grands faits se dégagent de ce travail du congrès et en résument le caractère aussi bien que la moralité : l’extension définitive et diplomatiquement consacrée de la Russie en Orient, rentrée de l’Autriche dans la Bosnie, dans l’Herzégovine, et l’intervention directe, retentissante de l’Angleterre dans la distribution des territoires ou des influences et des protectorats.

La Russie n’a point sans doute fait ce qu’elle voulait ; elle a été obligée d’abandonner une partie du traité de San-Stefano, et avec cette Bulgarie, qu’elle avait créée, qu’elle proposait détendre à travers l’empire turc jusqu’à la mer Egée, on va faire deux provinces séparées par les Balkans. L’une de ces provinces, la Bulgarie du nord, sera une principauté indépendante sous la protection russe, l’autre, la Roumélie,