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noirs de poudre, de poussière et de sueur, les traits défaits, les yeux sanglans, nous n’avions plus figure humaine. Nos vêtemens, nos chapeaux étaient criblés, percés à jour ; les miens pour leur part avaient reçu plus de quarante balles, mais par un bonheur inouï, durant cette longue lutte, je n’avais pas même été touché.

Comment en étions-nous sortis sains et saufs ? Nous ne le comprenions pas nous-mêmes, et les Mexicains pas davantage ; seulement le lendemain je me tâtais les membres, doutant encore si c’était bien moi et si j’étais réellement en vie. »


IV

Tel est ce glorieux fait d’armes où 65 hommes de l’armée française, sans eau, sans vivres, sans abri, dans une cour ouverte, sous les ardeurs d’un soleil meurtrier, tinrent en échec pendant plus de dix heures près de 2,000 ennemis.

Grâce à leur dévoûment, le convoi fut sauvé. Lentement il remontait dans la direction de Cordova et n’était plus qu’à deux lieues de Camaron, lorsqu’un Indien, qui de loin avait assisté aux opérations militaires de la journée, vint annoncer qu’un détachement français avait été enveloppé dans l’hacienda, que les Mexicains étaient en nombre et qu’ils barraient la route. Il était alors cinq heures environ, et la 3e compagnie était presque anéantie.

Outre les grosses pièces d’artillerie de siège, les fourgons du trésor, les prolonges et les voitures de l’intendance militaire, chargées de matériel et de munition, le convoi traînait à sa suite une foule de charrettes du commerce et près de 2,000 mules portant les provisions des cantiniers civils ; cela faisait un défilé interminable que ralentissait encore le mauvais état de la route. Dans ces conditions, toute surprise devait être fatalement désastreuse ; le capitaine Cabossel, des voltigeurs, chargé de la conduite du convoi, n’avait avec lui que deux compagnies du régiment étranger et point de cavalerie ; il fit faire halte aussitôt et dépêcha un exprès à la Soledad pour réclamer de nouvelles instructions ; il reçut l’ordre de revenir sur ses pas.

A la même heure, le colonel Jeanningros, également prévenu par un Indien, faisait demander des renforts à Cordova. On lui expédie deux bataillons d’infanterie de marine ; il en laisse un au Chiquihuite pour conserver la position ; lui-même, avec la légion étrangère et l’autre bataillon, se porte en avant au milieu de la nuit, et ramasse en passant les grenadiers du capitaine Saussier, qui prennent l’avant-garde.

Au point du jour, la colonne était en vue de Camaron, mais déjà