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Une formidable décharge nous accueillit, l’air trembla sous cet ouragan de fer et je crus que la terre allait s’entr’ouvrir.

A ce moment, le fusilier Cattau s’était jeté en avant de son officier et l’avait pris dans ses bras pour lui faire un rempart de son corps ; il tomba frappé de dix-neuf balles.

En dépit de ce dévoûment, le lieutenant fut également atteint de deux balles : l’une au flanc droit, l’autre qui lui fracassa la cuisse droite.

Wensel était tombé, lui aussi, le haut de l’épaule traversé, mais sans que l’os eût été touché ; il se releva aussitôt.

Nous étions trois encore debout : Wensel, Constantin et moi.

Un moment interdits à la vue du lieutenant renversé, nous nous apprêtions cependant à sauter par-dessus son corps et à charger de nouveau ; mais déjà les Mexicains nous entouraient de toutes parts et la pointe de leurs baïonnettes effleuraient nos poitrines.

C’en était fait de nous, quand un homme de haute taille, aux traits distingués, qui se trouvait au premier rang parmi les assaillans, reconnaissable à son képi et à sa petite tunique galonnée pour un officier supérieur, leur ordonna de s’arrêter et d’un brusque mouvement de son sabre releva les baïonnettes qui nous menaçaient : — Rendez-vous, nous dit-il.

— Nous nous rendrons, répondis-je, si vous nous laissez nos armes et notre fourniment, et si vous vous engagez à faire relever et soigner notre lieutenant que voici là blessé.

L’officier consentit à tout, puis comme ces premiers mots avaient été échangés en espagnol : — Parlez-moi en français, me dit-il, cela vaudra mieux ; sans quoi ces hommes vont vous prendre pour un Espagnol, ils voudront vous massacrer, et peut-être ne pourrait-je pas me faire obéir…

On reconnaît bien là cette haine inexpiable que gardent les Mexicains, et avec eux tous les colons de l’Amérique espagnole, contre la. mère patrie ; juste retour de tant d’injustices et de cruautés commises pendant trois siècles dans ces belles contrées par les successeurs de Pizarre et de Fernand Cortès.

Cependant l’officier parlait à l’un de ses hommes ; il se retourna et me dît : — Venez avec moi. — Là-dessus il m’offrit le bras, donna l’autre à Wensel blessé, et se dirigea vers la maison ; Constantin nous suivait de près.

Je jetai les yeux sur notre officier que nous laissions par derrière.

— Soyez sans inquiétude, me dit-il, j’ai donné ordre pour qu’on prît soin de lui ; on va venir le chercher sur un brancard. Tous mêmes, comptez sur moi, il ne vous sera fait aucun mal. »

Pour dire vrai, je m’attendais à être fusillé, mais cela m’était indiffèrent ; je le lui dis.