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Les Mexicains commençaient à se lasser ; mais alors, pour mieux vaincre notre résistance, ils imaginent de recourir à une manœuvre de guerre fort en honneur parmi eux : ils entassent de la paille et du bois à la partie nord-est du bâtiment et y mettent le feu ; l’incendie dévora d’abord un hangar extérieur qui faisait face à Vera-Cruz et qui de là gagna rapidement les toits.

Le vent soufflait du nord au sud et rabattait sur nous une épaisse fumée noire qui ne tarda pas à envahir la cour ; nous en étions littéralement aveuglés, et cette odeur acre de la paille brûlée, nous prenant à la gorge, rendait plus ardente encore l’horrible soif qui nous tordait les entrailles.

Enfin, au bout d’une heure et demie, l’incendie s’éteignit de lui-même, faute d’alimens ; pourtant cet incident nous avait été funeste : à la faveur de la fumée qui nous dérobait leurs mouvemens, les Mexicains avaient pu s’avancer davantage et nous tirer plus sûrement. Les postes de la brèche et de la porte de gauche avaient perdu la plus grande partie de leurs défenseurs.

Vers cinq heures, il y eut un moment de répit ; les assaillans se retiraient les uns après les autres comme pour obéir à un ordre reçu, et nous pûmes reprendre haleine. Tout bien compté, nous n’étions plus qu’une douzaine.

Au dehors, le colonel Milan avait réuni ses troupes autour de lui et les haranguait ; sa voix sonore arrivait jusqu’à nous, car tout autre bruit avait cessé, et à mesure qu’il parlait, sous le hangar, un ancien soldat de la compagnie, Bartholotto, d’origine espagnole, tué raide à côté de moi quelques instans plus tard, nous traduisait mot par mot son discours.

Dans ce langage chaud et coloré qui fait le fond de l’éloquence espagnole, Milan exhortait ses hommes à en finir avec nous ; il leur disait que nous n’étions plus qu’une poignée, mourant de soif et de fatigue, qu’il fallait nous prendre vivans, que s’ils nous laissaient échapper, la honte serait pour eux ineffaçable ; il les adjurait au nom de la gloire et de l’indépendance du Mexique, et leur promettait bien haut la reconnaissance du gouvernement libéral. Quand il eut fini, une immense clameur s’éleva et nous apprit que l’ennemi était prêt pour un nouvel effort. Toutefois, avant d’attaquer, Milan nous fit adresser une troisième sommation ; nous n’y répondîmes même pas.


III

L’assaut reprit plus terrible que jamais ; l’ennemi se précipitait sur toutes les ouvertures à la fois. A la grande porte, le caporal Berg seul restait debout ; il fut entouré, saisi par les bras, par le cou, enlevé : l’entrée était libre, et les Mexicains s’y jetèrent en foule.