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qu’entoure la toquilla, large galon d’argent ou d’or ; puis des éperons démesurés, d’énormes étriers de bois, en forme de sabots carrés, recouverts de métal, la lourde selle à pommeau ; tout cela faisait un curieux contraste avec la taille de leurs chevaux, peu élevés pour la plupart, mais d’une vigueur remarquable et merveilleusement dressés.

Un escadron seul portait l’uniforme militaire : tunique de drap bleu à petits pans, pantalon bleu terminé par le bas de cuir, buffleteries blanches ; képi et couvre-nuque ; c’étaient des dragons. Du reste toutes ces troupes étaient supérieurement armées, avec des armes perfectionnées de provenance américaine : aux cavaliers, le sabre, le revolver et le mousqueton ; bon nombre de guérilleros avaient aussi la lance ; aux fantassins, la carabine rayée et le sabre-baïonnette. En vérité, il ne leur manquait plus que du canon ! Nous nous regardâmes sans mot dire ; dès ce moment nous avions compris que tout était perdu-et qu’il ne nous restait plus qu’à bien mourir. Pour comble de malheur, le vent ne portait pas dans la direction de Paso del Macho, d’où le capitaine Saussier et ses grenadiers, entendant la fusillade, n’auraient pas manqué d’accourir à notre aide.

Cependant Morzicki avait été vu de nouveau, et pour la seconde fois le chef des Mexicains nous fit sommer de nous rendre. Le sergent était encore tout bouillant de la lutte ; ivre de poudre et de colère, il répondit en vrai soldat, par un mot peu parlementaire, mais qui du moins ne laissait plus de doute sur nos intentions, puis il se hâta de descendre et traduisit sa réponse au sous-lieutenant Vilain qui dit seulement : « Vous avez bien fait, nous ne nous rendrons pas. »

Au même instant, l’assaut commença. Le premier élan des Mexicains fut terrible ; ils se ruaient de tous côtés pour pénétrer dans la cour, criant, hurlant, vomissant contre nous les imprécations et les injures, avec cette abondance qui leur est propre en pareil cas et que facilite encore l’inépuisable richesse du vocabulaire espagnol : « Dehors les chiens de Français ! A bas la canaille ! A bas la France ! Mort à Napoléon ! » Je ne puis tout répéter.

Pour nous, calmes, silencieux, chacun à notre poste, nous ajustions froidement, ne tirant qu’à coup sûr et quand nous tenions bien notre homme au bout du fusil : les plus avancés tombaient ; le flot des assaillans oscillait d’abord, puis reculait en frémissant, mais pour revenir à la charge aussitôt après. A peine avions-nous le temps de glisser une nouvelle cartouche au canon, ils étaient déjà sur nous. Leurs officiers surtout étaient magnifiques d’audace et de bravoure.

Rentrés en force dans le corps de logis, les uns s’occupaient d’ouvrir avec des pics et des pinces dans le mur du rez-de-chaussée une