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II

Jusque-là on avait tiraillé de part et d’autre, échangé quelques coups de feu, mais sans que l’ennemi en prît occasion pour s’engager à fond. Au contraire il semblait hésiter à commencer l’attaque, et nous n’étions pas loin de croire qu’il se retirerait. Nous fûmes vite détrompés.

Morzicki venait d’être aperçu tandis qu’il s’avançait sur les toits, au-dessus des chambres occupées par l’ennemi. Un officier mexicain, son mouchoir blanc à la main, s’approcha lui-même jusqu’au pied du mur extérieur et, parlant en bon français, au nom du colonel Milan nous somma de nous rendre : « Nous étions trop peu nombreux, disait-il : nous allions nous faire inutilement massacrer ; mieux valait nous résigner à notre sort et déposer les armes, on nous promettait la vie sauve. »

Ce parlementaire était un tout jeune homme de vingt-deux à vingt-trois ans ; fils d’un Français, du nom de Laisné, établi depuis longtemps capitaine du port à Vera-Cruz, il avait passé lui-même par l’école militaire de Chapultepec, près Mexico. J’eus occasion de le connaître plus tard et, comme tous mes camarades, je n’eus jamais qu’à me louer de sa bienveillance et de son humanité. Pour le moment, il avait grade de capitaine et remplissait les fonctions d’officier d’ordonnance auprès du colonel Milan.

Morzicki était descendu pour nous apporter les propositions de l’ennemi ; le capitaine le chargea de répondre simplement que nous avions des cartouches, que nous ne nous rendrions pas.

Alors le feu éclata partout à la fois ; nous étions à peine un contre dix, et, si l’attaque eût été dès lors vigoureusement conduite, je ne sais trop comment nous eussions pu y résister. Heureusement nous n’avions affaire qu’à des cavaliers ; forcés de mettre pied à terre, embarrassés par leurs larges pantalons de cheval, peu habitués d’ailleurs à ce genre de combat, ils venaient, séparément ou par petits groupes, s’exposer à nos balles cylindriques qui ne les épargnaient point ; nous savions tirer.

A vrai dire, ils n’étaient pas seuls à souffrir, car nous nous trouvions nous-mêmes fort imparfaitement abrités, et déjà plusieurs des nôtres étaient tombés, tués ou blessés. Dans la chambre surtout, la lutte était épouvantable : les Mexicains essayaient de l’envahir du dehors, en même temps, ceux qui occupaient les chambres voisines s’étaient rais à percer de meurtrières les murs et les plafonds ; les défenseurs, ainsi pressés, commençaient à faiblir.

Calme, intrépide au milieu du tumulte, le capitaine Danjou semblait se multiplier. Je le reverrai toujours avec sa belle tête intelligente où l’énergie se tempérait si bien par la douceur ; il allait