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que la plupart des noms de lieux au Mexique, Chiquihuite a un sens précis et signifie en langue indienne une hotte ou mannequin comme en portent nos chiffonniers ; par sa forme en effet, la montagne rappelle assez bien un de ces paniers retournés.

Quoi qu’il en soit, dès notre arrivée le colonel s’était empressé d’établir à certaine hauteur, sur les premières pentes de la chaîne, un poste d’observation ; de là on dominait une partie de la plaine et principalement Paso del Macho, — le pas du mulet, — où s’étendaient nos avancées. Une longue-vue, mise à la disposition des soldats du poste, leur permettait de fouiller au loin la campagne, alors infestée par les bandes mexicaines et de signaler sans retard tout mouvement suspect.

Un mois s’était déjà écoulé sans grave incident, et j’étais précisément de garde sur la montagne avec deux escouades de ma compagnie, commandées par un sergent, quand, le 29 avril, vers onze heures du soir, l’ordre nous vint de rallier aussitôt nos camarades qui campaient dans le bas.

Dès que nous eûmes rejoint, en prit le café, et vers une heure du matin la compagnie se mit en marche.

Juste au même instant, un immense convoi militaire concentré à la Soledad s’apprêtait à quitter ce point à destination de Puebla, dont le second siège était commencé depuis plus de deux mois ; nous étions chargés d’aller à sa rencontre et d’éclairer tout le terrain en avant de lui entre le Chiquihuite et la Soledad.

Une belle compagnie que la nôtre, la 3e du 1er, comme on dit à l’armée, et qui passait à bon droit pour une des plus solides de la légion ! Il y avait là de tout un peu comme nationalité, — c’est assez l’habitude du corps, — des Polonais, des Allemands, des Belges, des Italiens, des Espagnols, gens du nord et gens du midi, mais les Français étaient encore en majorité. Comment ces hommes, si différens d’origine, de mœurs et de langage, se trouvaient-ils partager les mêmes périls à tant de lieues du pays natal ? Par quel besoin poussés, par quelle soif d’aventures, par quelle série d’épreuves et de déceptions ? Nous ne nous le demandions même pas ; mais la vie en commun, le voisinage du danger, avaient assoupli les caractères, effacé les distances, et l’on eût cherché vainement entre des élémens aussi disparates une entente et une cohésion plus parfaites. Avec cela tous braves, tous anciens soldats, disciplinés, patiens, sincèrement dévoués à leurs chefs et à leur drapeau.

Nous comptions dans le rang au départ 62 hommes de troupe, les sous-officiers compris, plus 3 officiers ; le capitaine Danjou, adjudant-major, le sous-lieutenant Vilain et le sous-lieutenant Maudet, porte-drapeau, qui, bien qu’étranger à la compagnie, avait obtenu de faire partie de la reconnaissance. Notre lieutenant, malade, resta