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connu, comme la prise du Borrego ou la défense de Camaron, aussi glorieux que Mazagran, non moins beau que les Thermopyles, mériterait de devenir légendaire dans notre jeune armée.

L’armée française venait de lever le siège de Puebla et s’était repliée sur Orizaba, serrée de près par les troupes victorieuses. Cette ville est dominée par le Cerro del Borrego ; autrement dit la montagne de l’Agneau, haute de 400 mètres environ et si abrupte qu’on n’avait pas cru d’abord nécessaire de l’occuper. Dans la soirée du 13 juin seulement, une des deux compagnies du 99e de ligne placées en avant-garde de ce côté reçut l’ordre de s’en emparer au plus tôt ; mais déjà un corps de 3,000 ennemis, tournant par les bois, avait gravi la position et s’y était retranché avec quelques pièces d’artillerie. A minuit, le capitaine Détrie commence l’escalade. Les ténèbres étaient si épaisses qu’on ne distinguait rien à deux pas ; les hommes, sac au dos et dans le plus grand silence, grimpaient à la file, en s’aidant des pieds et des mains, le long de ce mur à pic qui, même en plein jour, avait paru inaccessible. Enfin, après des efforts surhumains, ils touchaient au premier palier du Cerro, quand une décharge imprévue, partie des broussailles, leur révèle la présence de l’ennemi. Détrie fait mettre sac à terre et entraîne sa petite troupe à la baïonnette ; en même temps, pour tromper l’ennemi sur ses véritables forces, il ordonne à ses deux clairons de sonner sans relâche ; lui-même, enflant la voix, il feint d’avoir à commander tout un corps d’armée imaginaire, appelle les officiers par leurs noms, les bataillons par leurs numéros, et les lance en masse à l’assaut. Les Mexicains reculent en désordre, on les poursuit ; mais à mesure qu’on avance ils se reforment et réapparaissent plus nombreux. Pendant plus d’une heure, on lutte ainsi pied à pied ; mais il est à craindre que l’ennemi, s’apercevant enfin de notre petit nombre, ne parvienne à nous envelopper. Détrie arrête ses hommes, les embusque et leur recommande de rester en place sans tirer ; le bruit du combat a sans aucun doute attiré l’attention des nôtres demeurés dans le bas, et l’on peut compter sur un prompt secours. En effet, vers trois heures et demie du matin, arrive l’autre compagnie commandée par le capitaine Leclère, et toutes les deux réunies reprennent l’offensive. En vain les Mexicains reviennent-ils deux fois à la charge et font pleuvoir sur les assaillans un feu terrible ; délogés de toutes les crêtes, attaqués corps à corps, ils lâchent pied et se débandent. Saisi de panique à son tour, le gros de leurs troupes, qui campait dans la plaine et s’empresse de lever le siège ; 140 soldats français avaient mis en fuite une armée. Cette surprise coûta aux vaincus 300 tués ou blessés, dont un grand nombre d’officiers supérieurs, 200 prisonniers, trois obusiers de montagne, trois fanions et un drapeau ; nos pertes ne dépassaient