Ici le facétieux Gélaste, glissant dans une interruption sa note grivoise, nous rappelle le La Fontaine des Contes, tandis que Polyphile semble s’approprier exclusivement le côté lyrique du poète : « Cela devait être beau, dit Gélaste, mais j’aimerais mieux avoir vu votre déesse au milieu d’un bois, habillée comme elle était quand elle plaida sa cause devant un berger. Chacun sourit de ce qu’avait dit Gélaste ; puis Polyphile continua. » J’en ai dit assez pour indiquer le mouvement de l’œuvre, mais non pour donner au lecteur une idée de ce qu’elle contient de ravissant. Il faudrait pouvoir citer à l’infini, car c’est un bijou presque enfoui que ce poème ; on le connaît trop peu, et nombre de gens n’en parlent que par ouï-dire. Tout le monde a les Fables et les Contes, mais le poème de Psyché ne se trouve que dans les œuvres complètes, et pour se le procurer à part, force vous est de recourir à des éditions de bibliophiles tirées à cent exemplaires sur papier rose et sur vélin et coûtant des prix fous que ceux-là seuls savent payer qui ne lisent pas les livres qu’ils achètent. Pourquoi l’imprimeur de ce joli volume d’Apulée dont j’ai parlé plus haut ne publierait-il point, comme pendant, une édition de ce petit chef-d’œuvre de La Fontaine ? Dans un temps comme le nôtre où le goût se pervertit par l’excès de culture, où partout la théorie tue l’inspiration, je ne vois pas de plus grand service à rendre au public que de le ramener au simple en popularisant certains modèles.
- Tout l’univers obéit à l’Amour,
- Belle Psyché, soumettez-lui votre âme ;
- Les autres dieux à ce dieu font la cour.
- Et leur pouvoir est moins doux que sa flamme.
- Des jeunes cœurs c’est le suprême bien.
- Aimez, aimez, tout le reste n’est rien.
- Sans cet amour, tant d’objets ravissans,
- Lambris dorés, bois, jardins et fontaines,
- N’ont point d’appas qui ne soient languissans,
- Et leurs plaisirs sont moins doux que ses peines ;
- Des jeunes cœurs c’est le suprême bien :
- Aimez, aimez, tout le reste n’est rien[1].
- ↑ Rapprochez de ces vers un vers de la même famille au début des Animaux malades de la peste :
- Les tourterelles se fuyaient,
- Plus d’amour, partant plus de joie !
- Mais un ordre est venu plus pressant et plus fort
- Que la raison…