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« Après avoir loué ses principales vertus, les lumières de son esprit, ses qualités héroïques, la science de commander, ils revinrent à leur premier entretien et dirent que Jupiter seul peut continuellement s’appliquer à la conduite de l’univers. Les hommes ont besoin de quelque relâche. Alexandre faisait la débauche, Auguste jouait, Scipion et Lœlius s’amusaient à jeter des pierres plates sur l’eau : notre monarque se divertit à faire bâtir des palais, cela est digne d’un roi. Il y a même une utilité générale, car par ce moyen les sujets peuvent prendre part aux plaisirs du prince et voir avec admiration ce qui n’est pas fait pour eux. » Sur cette réflexion assurément on ne peut plus correcte, nos quatre amis quittent la table, ils retournent parcourir le château, redescendent aux jardins et s’installent dans une grotte. « Acante, Ariste et Gélaste s’assirent autour de Polyphile, qui prit son cahier, et ayant toussé pour se nettoyer la voix, il commença par ces vers :

Le dieu qu’on nomme Amour n’est pas exempt d’aimer.
A son flambeau quelquefois il se brûle ;
Et si ses traits ont ou la force d’entamer
Les cœurs de Pluton et d’Hercule,
Il n’est pas inconvénient
Qu’étant aveugle, étourdi, téméraire,
Il se blesse en les maniant ;
Je n’y vois rien qui ne se puisse faire,
Témoin Psyché dont je veux vous conter
La gloire et les malheurs chantés par Apulée…


Ainsi, pittoresquement, la narration s’engage, tantôt prose, tantôt vers, comme dans un opéra où la phrase mélodique succède au récitatif. De temps en temps intervient un bout de dialogue, une observation d’Acante, qui « était sérieux sans être incommode, » une boutade de Gélaste « qui était fort gai. » Par exemple, Polyphile, arrivant au triomphe de Vénus, s’écrie tout à coup, haussant le ton : « Ceci est proprement matière de poésie : il ne siérait guère bien à la prose de décrire une cavalcade de dieux marins ; d’ailleurs je ne pense pas qu’on pût exprimer avec, le langage ordinaire ce que la déesse parut alors :

C’est pourquoi nous dirons en langage rimé
Que l’empire flottant en demeure charmé.
Thétis lui fait ouïr un concert de sirènes,
Tous les vents attentifs retiennent leurs haleines ;
Le seul Zéphyre est libre, et d’un souffle amoureux
Il caresse Vénus, se joue à ses cheveux,
Contre ses vêtemens parfois il se courrouce,
L’onde pour la toucher à longs flots s’entre-pousse,
Et d’une égale ardeur chaque flot à son tour
S’en vient baiser les pieds de la mère d’Amour.