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monarchie. Grammairiens, rhéteurs, médecins, furent dispensés du service militaire, affranchis des curatelles et charges civiques, et distribués entre différentes villes de province dont ils étaient commis à faire l’ornement ; emploi souvent très mal tenu, car, s’il y avait- la fleur du panier, il y avait aussi le dessous, et, pour quelques brillans coryphées, que d’astrologues faméliques, de cuistres affublés de robes monacales et qui, les reins ceints d’une corde, le bâton noueux à la main, la besace au dos, promenaient leur gueuserie sous les portiques de l’athénée d’Hadrien !

Cet âge frivole et pédantesque, ondoyant et divers, travaillé de toute sorte de dilettantismes amusans, et dont Lucien nous peint le tableau avec tant de grâce, d’esprit, de verve humoristique, — cet âge au demeurant très littéraire, — eut de bien curieux représentans, Apulée, Aulu-Gelle et d’autres. Nous reviendrons tout à l’heure à l’auteur de l’Amour et Psyché, voyons d’abord Aulu-Gelle. Il était le familier de la villa Fronton et l’acolyte inséparable de son illustre maître, le rhéteur Favorinus. Poussant jusqu’à la manie l’ardeur des recherches, il ne quittait ses livres que pour courir disserter de omni re scibili avec tous les passans. En visite, en voyage, au Forum, à la promenade, dans les boutiques et les bibliothèques, il écoutait, prenait des notes ; aux produits de cette chasse perpétuelle aux anecdotes, à cet incessant grappillage dans la vigne du prochain s’ajoutaient d’immenses trésors de lecture ; les Nuits attiques formeront toujours un répertoire utile à consulter, grâce au bénéfice acquis à ces sortes de compilations dont l’unique mérite est d’avoir survécu aux documens manipulés par leur auteur. Les hommes de cette époque ont la rage d’être universels ; ils mettent tout dans tout : caractère spécial de la littérature alexandrine alors prédominante. Leurs œuvres en apparence les plus légères, — romans, contes, poésies, — sont chargées à fond et jusques à en couler bas de mathématiques, d’astronomie, de philosophie, de jurisprudence et de rhétorique ; celui-ci, par exemple, pourrait tout aussi bien s’appeler le seigneur Microcosme, du nom dont Méphistophélès salue le vieux docteur en entrant à son service, et puisque je suis en train de citer Goethe, je continue en retournant l’admirable invocation de Faust pénétrant chez Marguerite : « Dans cette pauvreté quelle abondance ! » et profite de la circonstance pour m’écrier à propos de cette énorme somme de compilations : Dans cette abondance quelle pauvreté ! Histoire des sciences naturelles, anatomie et physiologie, médecine et théologie, tous les sujets de thèses sont évoqués pêle-mêle, les plus sérieux à côté des plus frivoles dans un accouplement inimaginable ; des problèmes de métaphysique et d’économie sociale coudoyant des questions d’étiquette empruntées à quelque manuel de la civilité puérile et