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plus forte raison vis-à-vis du pouvoir central. Par là ces nouvelles institutions n’ont cessé de mériter la confiance du souverain non moins que celle du pays. Qu’il nous soit permis d’espérer qu’au lieu d’être assujettis à de nouvelles restrictions, les états provinciaux verront leurs prérogatives confirmées et étendues jusqu’au jour où la Russie pourra être mise sans danger à la difficile épreuve des libertés politiques.

Il y a en Russie comme partout des élémens de désordre, des fermens révolutionnaires ; les dernières années, les derniers procès politiques l’ont montré aux plus aveugles, bien que ces procès n’aient fait que mettre en lumière pour tous ce qui pour l’observateur attentif était depuis longtemps manifeste. Les Russes s’en imposaient à eux-mêmes ou voulaient en imposer à autrui, quand ils se vantaient d’être à l’abri des maladies morales de l’Occident, comme s’ils pouvaient échapper à la contagion des idées et des convoitises, ou comme si tout était sain, pur et robuste, dans ce grand corps de l’empire russe. L’esprit révolutionnaire existe en Russie comme ailleurs, mais ce n’est point dans les assemblées électives qu’il a son siège et qu’il se propage ; c’est dans des réunions d’hommes sans mandat, dans des sociétés secrètes, dans des conciliabules occultes qui, sur les jeunes têtes et les imaginations exaltées, ont d’autant plus de prestige et de puissance que les assemblées régulièrement élues ont moins d’autorité. En Russie, plus que partout ailleurs peut-être, la meilleure arme contre l’esprit révolutionnaire ce serait l’esprit libéral ; veut-on dégoûter la jeunesse et les âmes honnêtes des trames ténébreuses et des agitations souterraines, que l’on permette aux hommes épris du bien public de s’y consacrer au grand jour Sans crainte et sans entrave. Le plus sûr moyen d’arrêter la diffusion latente des idées dissolvantes et des passions niveleuses, ce serait de donner ouvertement au pays une plus grande part dans l’administration de ses propres affaires, sous l’égide d’un pouvoir heureusement encore assez fort pour n’avoir guère à redouter les témérités de pensée et les intempérances de langage.


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.