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il faudrait de graves événemens pour décider le gouvernement à transformer ainsi subitement les états provinciaux en états généraux. Si dans toutes ses commissions consultatives il fait une large place aux présidens et aux membres des zemstvos, il y invite en même temps des maires de villes, des marchands ou des industriels, des hommes spéciaux et des fonctionnaires sans mandat de leurs concitoyens. En cela, il serait difficile de blâmer les procédés du pouvoir central. Quelque injuste que soit toute défiance ou toute appréhension à l’égard des assemblées territoriales, mieux vaut pour la Russie, si elle doit un jour posséder une représentation nationale, l’obtenir directement, d’une manière ouverte et normale que par voie détournée, d’une manière subreptice ou intermittente et par là même peut-être illusoire et stérile.

En attendant le jour où la Russie lui paraîtra digne ou capable de libertés politiques, tout montre que le gouvernement impérial aurait tort de tenir en suspicion les nouveaux états provinciaux. La bureaucratie, le tchinovnisme et la centralisation ont seuls à redouter le développement de pareilles institutions. Les défiances du pouvoir vis-à-vis des corps élus, vis-à-vis des assemblées provinciales ou municipales, paraissent dénuées de fondement. Il semble que la loi a déjà pris contre elles, contre leurs imprudences ou leurs excès de pouvoirs, des précautions outrées et inutiles. Si la cour de Pétersbourg redoute la propagande radicale et l’esprit révolutionnaire, ce ne sont point les zemstvos, ce ne sont pas les assemblées électives des provinces ou des villes qui servent d’organe ou d’Instrument à la révolution et au radicalisme.

Sous ce rapport, l’attitude des corps élus est constamment demeurée irréprochable. Loin de se complaire à une opposition systématique ou à des taquineries déplacées, loin de provoquer des conflits d’aucune sorte, les états provinciaux, comme les municipalités n’ont cessé de montrer vis-à-vis de l’administration et des fonctionnaires une prudence, une circonspection, une retenue singulière. S’il y a eu excès, l’excès a été plutôt dans le sens de la soumission, de la docilité, de l’obséquiosité. En aucun pays du monde, les corps délibérans n’ont mis plus de soin à ne pas abuser des droits qui leur étaient conférés, à ne point avoir l’air d’outrepasser les limites qui leur étaient tracées. A aucune époque, des assemblées élues ne se sont aussi généralement, aussi patiemment appliquées à ne point porter ombrage au pouvoir et à ses agens. Ces conseils provinciaux et municipaux ont montré parfois un esprit d’initiative et d’indépendance qui fait honneur à la Russie et à son gouvernement, mais jamais ils ne se sont écartés de la plus respectueuse et de la plus stricte déférence vis-à-vis des autorités locales, et à