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clore toutes les ouvertures par lesquelles ces assemblées eussent pu essayer d’en sortir. Le droit de pétition, le plus élémentaire et le plus humble des droits qui puissent être reconnus à un peuple ou à des corps délibérans, le droit de déposer des vœux au pied du trône a été refusé aux assemblées territoriales, ou, s’il leur a été concédé, il a été rigoureusement borné aux intérêts locaux, et les zemstvos russes n’ont pas eu comme nos conseils généraux français besoin de se faire souvent remémorer la loi par les représentans du gouvernement. Lorsque dans la naïve ferveur de leurs premières années, un ou deux zemstvos firent mine de porter leurs regards au-delà de l’horizon provincial, le pouvoir central les rappela sévèrement à leur spécialité et à la modestie de leur rôle. Vers 1867, les états provinciaux de Saint-Pétersbourg furent brusquement congédiés pour avoir osé exprimer un vœu illégal en faveur des libertés politiques, et le président de cette imprudente assemblée, un Schouvalof, proche parent du tout-puissant chef de la IIIe section, se vit, par mesure de police, éloigné de la capitale. La leçon n’a pas été perdue, depuis lors, nul zemstvo n’a essayé de s’élever au-dessus de sa sphère et de se guinder au-dessus de son rôle. Tous ont compris que le meilleur moyen de frayer la route aux libertés politiques, c’était aujourd’hui de se consacrer entièrement à l’obscur labeur des libertés locales.

Sans sortir du domaine des intérêts locaux, où les mœurs et la loi les enferment, les nouveaux états provinciaux pouvaient tendre indirectement à élargir leur sphère d’action, au nom même de ces intérêts locaux, en se mettant en rapport les uns avec les autres, en se concertant les voisins avec leurs voisins, pour les affaires qui intéressent plusieurs provinces et souvent toute une région de l’empire. Il y avait là encore pour les zemstvos une tentation contre laquelle le pouvoir central devait les mettre en garde. La bureaucratie ne saurait voir d’un bon œil les états provinciaux entrer en relation ensemble, et les provinces s’unir, et jour ainsi dire se coaliser ou se fédérer, ne fût-ce que dans un intérêt purement économique. Les zemstvos ont été rigoureusement maintenus dans leurs frontières respectives parfois au détriment eu progrès de telle ou telle région. Tout autre gouvernement aurait sans doute mis les mêmes obstacles à tout groupement régional, à tout semblant de ligue ou de syndicat provincial. On ne saurait à et égard taxer le gouvernement de Saint-Pétersbourg de vues étroites et de préjugés surannés, alors qu’en France nos départemens, qui sont souvent huit ou dix fois plus petits et deux ou trois fois moins peuplés que les goubernies russes, ont été si longtemps maintenus dans leur isolement et leur faiblesse, et que nos