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du vrai, c’est qu’elle est incomplète et prête aisément à l’illusion parce qu’elle n’exprime qu’une moitié de la vérité. Certes, en fait de liberté et de self-government comme en toutes choses, le mieux est de commencer par le commencement, de ne pas trop se hâter au début du chemin, de peur de ne pouvoir achever la route ou de tomber d’épuisement en arrivant au but. Le plus sage est de ne point forcer son pas, de marcher, non de courir, mais à la condition de ne point s’arrêter et s’endormir en route. Il n’est pas douteux que les libertés politiques et les chartes constitutionnelles ne soient fragiles, caduques, chancelantes, sans solidité, et sans efficacité, si elles ne s’appuient sur les libertés locales, sur les franchises municipales et provinciales. Il n’est guère moins certain que les franchises locales ne sauraient être entières, respectées de tous et assurées contre toutes menaces, si elles ne sont défendues par les libertés politiques. L’expérience l’a montré : en Russie comme ailleurs, l’on ne saurait longtemps avoir la liberté en bas et l’arbitraire en haut, pas plus que l’on ne saurait longtemps avoir la liberté en haut et l’absolutisme bureaucratique en bas. Le self-government local peut avoir moins de peine à s’acclimater, peut fleurir plus vite à l’abri d’un pouvoir fort et incontesté, mais il ne faut pas que l’ombre qui le protège l’étouffé ou en arrêté la croissance. Tant que le contrôle des gouvernés est entièrement exclu du domaine politique et législatif, c’est une illusion que d’espérer dans la sphère administrative le triomphe complet du régime représentatif et le règne indépendant des assemblées élues ; le régime du bon plaisir maintenu dans les hautes régions du gouvernement débordera toujours plus ou moins hors des limites qui lui auront été tracées. Les libertés locales demeureront ouvertes à l’intervention des fonctionnaires de la couronne, accessibles à toutes les volontés du pouvoir qui plane au-dessus d’elles. En un mot, s’il importe de donner à la liberté et au self-government de profondes et solides fondations, c’est à la condition de ne s’en pas tenir aux fondations ou au sous-sol et d’achever la maison, car sans les étages supérieurs et sans le toit qui les met à couvert de la pluie ou du soleil, le sous-sol et le rez-de-chaussée ne sauraient guère être habitables.

Tout corps délibérant est porté à dépasser ses pouvoirs. Presque partout et surtout peut-être dans les pays encore étrangers ou mal initiés aux libertés politiques, le self-government local est tenté de sortir de ses limites légales et d’empiéter sur l’administration centrale, sur le domaine politique. Le gouvernement russe n’ignorait pas cette tendance, il n’a rien négligé pour enfermer les nouveaux états provinciaux dans l’étroite enceinte des affaires locales et pour