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V

Pour qui récapitule tout ce qu’avec d’aussi pauvres moyens ils ont accompli ou tenté en mains d’une douzaine d’années, il semble que les zemstvos doivent être entourés d’une légitime popularité. A vrai dire, il n’en est rien. Les états provinciaux avaient à leur naissance excité les plus hautes espérances, des espérances démesurées qui ont rapidement donné lieu à de profondes déceptions. L’un des motifs de ce revirement de l’opinion a été précisément l’exagération de la première confiance, la témérité des illusions ou des rêves fondés sur les nouvelles franchises provinciales. L’opinion a été d’autant plus exigeante vis-à-vis des zemstvos qu’elle en attendait davantage. L’esprit des peuples, l’esprit russe en particulier, est prompt à escompter l’avenir et prompt au découragement. Tout joyeux des nouvelles et larges perspectives que leur ouvrait le self-government provincial, le public et la presse y croyaient découvrir un horizon illimité de liberté et de prospérité. Les yeux éblouis n’apercevaient pas les bornes, pourtant trop visibles, imposées d’avance à cette libre administration par les habitudes du pouvoir et les mœurs du pays, par la routine administrative, par la pénurie financière.

L’erreur a été vite découverte, les limites tracées à l’activité des zemtsvos ont été d’autant plus promptement atteintes que ces limites ont été resserrées et rétrécies. Les états provinciaux, nous ne saurions l’oublier, ont eu le malheur de voir le jour à l’époque où, comme prise de lassitude et effrayée de son œuvre, l’énergie libérale du gouvernement réformateur commençait à pencher vers son déclin. Les zemstvos ouvraient leurs assises peu de temps après la déplorable insurrection de Pologne, peu de temps avant le mystérieux attentat de Karakosof, qui rendait à la police et à la IIIe section son ancien ascendant[1]. Il n’en eût pas été ainsi, l’administration ou la loi ne leur eussent imposé aucune entrave, que les zemstvos n’auraient encore pu remplir toutes les promesses des prophètes libéraux de 1860.

Ce que l’opinion attendait de ces assemblées territoriales, ce n’était rien moins qu’une complète transformation, une aisée et rapide métamorphose de l’empire, comme si les institutions avaient pour renouveler les peuples une sorte de vertu magique. Cette erreur est trop commune et trop naturelle pour la reprocher aux Russes. Comme bien d’autres peuples, ils avaient oublié qu’avant de donner

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1877.