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greniers de réserve et le zemstvo de district doit veiller à ce que les paysans ne laissent pas ces greniers vides. En outre chaque assemblée provinciale doit avoir un fonds spécial d’approvisionnement destiné à fournir des subsides ou des avances aux communes des paysans dans les années de mauvaises récoltes. Toutes ces minutieuses précautions n’empêchent pas la sécheresse du climat et l’insuffisance de l’agriculture d’amener de fréquentes disettes dans les fertiles provinces du sud, et ces disettes de tourner parfois en famines contre lesquelles la charité légale est impuissante. On se rappelle encore la désastreuse famine de Samara qui, un ou deux ans avant la dernière guerre, a donné aux bords du Volga le spectacle de souffrances que l’on aurait cru désormais impossibles en Europe. Au milieu même de la dernière campagne, le grand gouvernement de Kazan était à son tour frappé de disette, et le zemstvo de la province calculait que, pour nourrir la population pendant l’hiver et lui fournir les grains nécessaires à ses semailles, il faudrait une somme de près de 2 millions de roubles, tandis que les réserves disponibles du zemstvo ne montaient qu’à 265,000 roubles. Aujourd’hui la plupart des états provinciaux puisent dans leurs fonds d’approvisionnement pour soulager les plus cruelles misères de la guerre, en sorte qu’en cas de disette ces assemblées se trouveraient prises au dépourvu.

S’ils n’ont pu mettre les provinces à l’abri des disettes ou de la famine, les zemstvos ont mieux su défendre le paysan et l’agriculture contre un autre fléau non moins redoutable aux Russes, contre l’incendie. On sait quels sont les ravages habituels du feu, du coq rouge comme disent les Russes, dans les villes, et surtout dans les villages de bois de la Russie. Chaque été, on peut compter deux ou trois mille incendies ; pour une seule année, pour 1874 par exemple, les relevés officiels évaluaient à près de 60 millions de roubles, c’est-à-dire à près de 200 millions de francs, les pertes subies de ce chef par la Russie. C’est là un lourd impôt annuel prélevé par les flammes sur le peuple et l’agriculture russes. Toutes les mesures de précaution sont infructueuses ; c’est en vain que dans les villages russes les maisons voisines sont isolées les unes des autres et les deux côtés de la rue toujours séparés par de larges espaces, de façon que, si un côté brûle, l’autre reste indemne. C’est en vain que dans ces villages il est durant l’été interdit aux paysans de faire du feu dans leur izba, de façon que chaque ménage est obligé de faire sa cuisine dans une sorte de four en terre creusé au milieu de la rue ou de la place du village. Toutes les mesures préventives ne font que réduire le champ du fléau ; il fallait avant tout assurer le paysan contre les ravages d’un mal qu’on