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remarque, c’est que de tous les zemstvos celui qui à cet égard occupe le premier rang est le zemstvo du gouvernement de Vïatka, qui par exception est en grande majorité composé de paysans. Cette assemblée de moujiks consacrait dès 1875 plus de 300,000 roubles, soit un cinquième environ de ses ressources, à l’instruction du peuple. Il y a quelque chose d’encourageant pour l’avenir de la Russie à voir ces paysans, souvent eux-mêmes entièrement dénués d’instruction, s’imposer librement pour en donner à leurs enfans. Dans certaines provinces, on compte par centaines les écoles primaires ainsi fondées et entretenues par les zemstvos. Souvent même les états provinciaux ont devancé le gouvernement central dans la création d’écoles normales primaires. L’état a ainsi trouvé dans les assemblées territoriales un généreux concours pour l’œuvre de l’instruction populaire[1]. Le zèle civilisateur, quelquefois un peu emphatique, un peu déclamatoire de certains zemstvos, a été jusqu’à mettre à l’étude la question de l’enseignement obligatoire : plusieurs de ces assemblées ont même par un vote adopté le principe de l’obligation avant d’avoir assez d’écoles pour y recevoir tous les enfans.

Après l’esprit, le corps, après l’instruction populaire, la santé du peuple. Le service sanitaire a partagé avec l’enseignement primaire l’attention et les préférences des états provinciaux. Cette préférence s’explique, et se justifie aisément. On sait quel est sous ce rude climat le régime de la masse de la population, quels ravages exercent, dans les villages surtout, les maladies et les épidémies, secondées par l’ignorance, les superstitions ou les préjugés du moujik. La brièveté de la vie moyenne, grâce à l’effrayante mortalité parmi les enfans, est une des plaies économiques de la Russie, puisqu’en renouvelant trop rapidement les générations, cette mortalité y accroît démesurément la proportion des âges improductifs aux âges productifs[2]. Les zemstvos se sont courageusement attaqués à ce mal ; ils ont fait du service sanitaire un de leurs principaux soucis. Dans les provinces, où le devin et le sorcier étaient le seul conseil et le seul secours des malades, les assemblées territoriales ont fait de la médecine un service public et gratuit. Non contens d’établir des hôpitaux et des pharmacies, les états provinciaux entretiennent à leurs frais dans les divers districts des médecins qui ont chacun leur circonscription, où ils sont obligés

  1. Il ne faut pas oublier en effet que l’état a son budget particulier pour l’instruction.
  2. Des enfans nés en Russie, plus de la moitié, soit 54 pour 100, meurent avant d’avoir atteint leur cinquième année.