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d’emprunts ou d’avances du trésor. Bien qu’il n’y ait eu qu’une mobilisation partielle, la glorieuse campagne des Russes sur le Danube et le Balkan a, surtout dans les provinces voisines du théâtre de la guerre, entraîné les assemblées provinciales à bien des dépenses extraordinaires sans compensation pour les intérêts locaux. Dans plusieurs gouvernemens, le zèle du patriotisme a poussé les zemstvos à prendre sur eux-mêmes des charges que ne leur imposait aucune loi, à former des ambulances ou à voter des subsides pour les sociétés de secours aux blessés, à participer aux souscriptions pour la flotte volontaire en cas de lutte avec la Grande-Bretagne[1]. La guerre, qui grossit leurs dépenses en même temps qu’elle restreint leurs ressources, va laisser dans beaucoup de ces budgets provinciaux des traces que la paix sera longue à effacer. La progression normale des recettes en va être arrêtée pendant plusieurs années et l’équilibre des finances locales en peut être pour longtemps troublé. La guerre entreprise pour les libertés des Slaves du Balkan peut ainsi avoir un fâcheux contre-coup sur le récent et encore novice self-government provincial des libérateurs de la Bulgarie.

Cette cause de perturbation est d’autant plus à regretter que les finances des zemstvos semblaient en voie de progrès. Les dépenses obligatoires, qui d’abord absorbaient la plus grande partie des revenus provinciaux, n’en prenaient plus guère que la moitié[2]. Les dépenses facultatives, en général les plus productives, bénéficiaient de crédits de plus en plus considérables. L’augmentation la plus forte portait sur les deux chapitres les plus utiles aux classes populaires, l’instruction publique d’un côté, le service sanitaire et médical de l’autre. Pour l’instruction, les allocations provinciales s’étaient élevées de moins de 1 million de roubles en 1869, à près de 2 millions en 1872, à plus de 3 millions en 1875. Le premier usage que les provinces ont fait du droit de se taxer elles-mêmes a été en faveur de l’enseignement du peuple. De tels efforts font honneur à une nation. Ce qui n’est pas moins digne de

  1. Dans les derniers temps, une partie de la presse russe avait émis la singulière idée de confier aux zemstvos les fournitures et l’approvisionnement de l’armée, sous prétexte qu’en traitant avec ces assemblées le ministère de la guerre traiterait directement avec les producteurs et bénéficierait des sommes considérables qui, avec les fournisseurs actuels, constituent les bénéfices souvent excessifs des intermédiaires et de la spéculation. Il est heureux pour les états provinciaux, si ce n’est pour l’armée russe, que le gouvernement n’ait pas accepté on projet qui eût dénaturé les fonctions des assemblées provinciales en les transformant en négocians et en comptoirs de commerce.
  2. 13,168,000 roubles contre 12,800,000 sur un total de 25,875,000 pour l’ensemble des budgets locaux en 1875.