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croyons-nous, 35 aujourd’hui[1]. Il reste cependant, en dehors même de l’ancien royaume de Pologne, une quinzaine de gouvernemens dénués de ces utiles institutions ; ce sont pour la plupart des provinces frontières, c’est-à-dire les moins russes par la nationalité ou les traditions. Ces contrées, telles que les anciennes provinces lithuaniennes ou polonaises, sont précisément celles qui souffrent le plus de l’arbitraire bureaucratique et de la centralisation pétersbourgeoise[2]. Au moment où ils viennent d’achever une guerre de libération en faveur des Slaves du Balkan, le tsar et le peuple russe ne sauraient toujours oublier que dans les limites mêmes de l’empire, il y a de vastes pays slaves, auxquels la Russie est maîtresse de donner ou de restituer une part de ces libertés qu’elle réclame pour les sujets d’autrui. Les ressentimens du passé semblent, il est vrai, faire obstacle à cette œuvre de réparation, mais, quelles qu’en soient les difficultés, une pareille œuvre est assurément moins malaisée que la tâche entreprise par la Russie au-delà du Danube, et, pour être moins coûteuse, elle ne serait ni moins profitable à l’empire, ni moins honorable à son souverain.


III

Les droits naguère enlevés aux assemblées de la noblesse n’ont pas été transférés intégralement aux nouvelles assemblées territoriales. À ne regarder que le texte de la loi, la Russie de l’empereur Alexandre II aurait reculé dans la voie des libertés locales. En réalité, il n’en est rien ; si le gouvernement n’a concédé aux états provinciaux que des attributions notablement restreintes, c’est qu’il ne voulait point leur faire an cadeau purement nominal, et qu’il savait aux zemstvos la volonté et la capacité d’user des droits qui leur étaient accordés. Le souverain ne peut plus aujourd’hui faire du libéralisme théorique dans la législation, en maintenant intact dans la pratique le règne de l’arbitraire, le pouvoir ne saurait plus retenir en fait tout ce qu’il abandonne en droit. Les prérogatives des états provinciaux ont beau demeurer sur quelques points inférieures aux anciennes prérogatives des assemblées de la noblesse, elles

  1. Les derniers gouvernemens pourvus d’assemblées territoriales sont, nous semble-t-il, la Bessarabie et le pays des Cosaques du Don. Dans les 35 gouvernemens en possession de zemstvos, on comptait 402 assemblées de district.
  2. Les provinces baltiques, Livonie, Courlande, Esthonie, ayant jusqu’ici conservé leurs anciennes coutumes, sont dans une position toute différente de celle des provinces polonaises. Les provinces baltiques étaient, en vertu d’anciennes chartes, demeurées des pays privilégiés. Le gouvernement russe est du reste depuis quelques années en train de les assimiler au reste de l’empire, et bientôt l’administration locale y aura perdu ses caractères particuliers et le self-government ses formes germaniques.