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Une des raisons qui font régner la paix dans ces assemblées composées d’élémens si hétérogènes, c’est que les deux classes les plus importantes, les propriétaires et les paysans, s’y tiennent en équilibre, ou mieux que la prépondérance y appartient d’ordinaire à la classe la plus cultivée, aux propriétaires. La composition des zemstvos de district varie naturellement suivant les régions et suivant la répartition des terres entre la noblesse et les communes, entre l’un et l’autre mode de tenure du sol. À prendre l’ensemble des assemblées territoriales dans toute la Russie, la majorité y appartient aux propriétaires qui à eux seuls forment près de la moitié du total des membres, les paysans et les habitans des villes formant le reste[1]. Les zemstvos des grands gouvernemens du nord-est, tels que Viatka, Perm, où la noblesse n’a jamais pu prendre racine et où les propriétaires nobles sont en infime minorité, sont encore les seuls où la majorité demeure aux paysans.

Dans les provinces du centre, au contraire, non-seulement les délégués des moujiks sont en moindre nombre, mais il n’est pas rare de voir les paysans des communes choisir pour leurs représentans de petits propriétaires du voisinage. La prépondérance de la noblesse dans les zemstvos ne tient pas uniquement au nombre de ses représentans, mais à leur supériorité d’instruction et de culture. Le moujik reconnaît volontiers la suprématie intellectuelle du barine qui siège près de lui, il est encore plein de déférence pour son ancien maître. Cette déférence du paysan est même un des argumens que l’on a fait valoir en faveur des élections sans distinction de classes. Quoique l’esprit pratique et l’expérience de ces modestes villageois ne soient pas inutiles à ces petits parlemens de province, les orateurs habituels et les leaders des zemstvos sortent toujours des rangs des propriétaires. La noblesse a donc d’autant moins à se plaindre de la constitution actuelle des assemblées provinciales qu’elle y jouit jusqu’ici d’une prédominance incontestée, fondée à la fois sur la loi et sur les mœurs.

La loi qui, dans les zemstvos, réunit la noblesse aux autres classes, lui confère dans ces assemblées mêmes un important privilège. La présidence des états provinciaux appartient de droit à son maréchal (predvoditel) élu dans chaque district par l’assemblée de la noblesse. Les fonctions présidentielles seraient à l’élection, comme elles devront l’être un jour, que la présidence passerait rarement en d’autres mains. Le maréchal de la noblesse est

  1. Il y a quelques années, sur 13,000 glasnye ou députés aux zemstvos dans 33 gouvernemens, l’on comptait 6,204 propriétaires, 5,171 paysans, 1,649 représentans des villes. Dans tel gouvernement du contre, l’assemblée de district compte une trentaine de propriétaires, 27 ou 28 paysans et 4 ou 5 marchands des villes. C’est là une proportion que l’on peut prendre comme moyenne.