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Dans une ou deux de ces assemblées, dans celle de Saint-Pétersbourg notamment, se sont fait jour des prétentions aristocratiques qui même dans un tel milieu peuvent étonner en Russie. Les grands propriétaires, qui dans ces réunions ont naturellement une influence prépondérante, y ont parfois montré quelques velléités de recouvrer certaines des prérogatives dont les a dépouillés l’émancipation. On a ainsi entendu réclamer pour la noblesse et la grande propriété la direction des campagnes et des affaires rurales, la nomination aux emplois judiciaires et administratifs de la commune, du canton, du district, en un mot le monopole de toute la vie provinciale[1]. En émettant de pareilles revendications, la noblesse et la grande propriété oubliaient le triste usage qu’elles ont fait si longtemps des droits et privilèges dont les avait investies Catherine II. Aujourd’hui comme avant l’émancipation, la noblesse est mal préparée au rôle que demande imprudemment pour elle une portion de ses membres. Elle a beau être la classe la plus civilisée, la plus instruite, la plus capable de la nation, elle manque d’hommes aptes à l’administration locale, ou si elle en possède, ces hommes sont d’ordinaire peu disposés à se dévouer aux modestes fonctions que l’on revendique pour eux. Comme les autres classes de la société russe, la noblesse a toujours montré peu de goût pour les fonctions gratuites ; cela seul empêcherait de donner à l’administration provinciale une constitution aristocratique.


II

En perdant le privilège de la propriété foncière, la noblesse russe devait perdre le monopole de l’administration locale. C’était là une des conséquences naturelles de l’émancipation. Aux assemblées composées exclusivement de la noblesse ont succédé des assemblées où sont représentés tous les détenteurs du sol et les anciens serfs à côté de leurs anciens maîtres. Ces nouveaux états provinciaux portent le nom de zemstvo, c’est-à-dire d’assemblés territoriales[2]. Le nom même indique la prépondérance qu’y conservent la terre et la propriété. Le zemstvo réunit dans son sein les diverses classes de la population encore séparées par l’organisation communale. Les représentans de la noblesse et de la propriété individuelle s’y mêlent aux représentans des paysans et de la propriété collective ; les villes y ont leur place à côté des campagnes. A l’inverse de la commune et de la volost rurales, dont le cadre étroit ne contient

  1. Voyez à ce sujet l’étude de M. F. Dmitrief, Revolutsionny conservatism, et l’ouvrage du général Fadéief : Rousskoé obchtchestvo v nastoiachtchem i boudouchtchem.
  2. Zemstvo de zemliz, terre.