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Malaisie imprime à tout ce qu’elle touche un caractère spécial d’horreur et de férocité. Des calmes dieux de l’Inde, elle fait des monstres furieux ; elle arme leurs cent bras de glaives homicides et de torches incendiaires, elle orne leurs mitres de têtes coupées, elle convulsé leurs faces cuivrées et tord leurs silhouettes en de sauvages contorsions. Les yeux peints en rouge roulent terribles dans leur orbite, les bouches démesurées, garnies d’une double rangée de crocs aigus, s’ouvrent jusqu’aux oreilles. La collection des idoles de Java est la plus épouvantable vision de monstres, de spectres et de croquemitaines qu’il soit possible d’imaginer. Les armes malaises n’ont pas un caractère de hideur et de férocité moins accentué. Ces kriss dentelés en scie, ces informes casse-têtes de bois de fer, ces flèches barbelées, ces fers de lance ondulant en flamme ou s’arrondissant en serpe, ces fourches, dont une branche est une doloire et l’autre un grappin, ces tridens terminés par des dents de requin, ces poignards pareils à des rasoirs et ces zagaies semblables à des faux composent plutôt un attirail de torture qu’une panoplie de guerre. Ce n’est point la richesse, la somptuosité et la forme gracieuse des sabres orientaux ; c’est encore moins la belle simplicité et l’aspect de vaillance et de loyauté des épées occidentales. On pense, en voyant ces armes, aux guet-apens, aux massacres, aux surprises nocturnes, aux égorgemens furtifs, aux sinistres boucheries, et non aux batailles valeureuses.


II

Le Céleste-Empire est une vieille connaissance ; au contraire on ne connaît le Japon que depuis peu d’années. On est encore sous l’influence de la révélation. Il s’ensuit de là que chacun s’enthousiasme pour l’art japonais et n’a que du mépris pour l’art chinois. On répéterait volontiers aujourd’hui devant tous les produits de la Chine le mot de Louis XIV : « Otez-moi ces magots. » Il y a là quelque injustice. Parce que l’art japonais est un art plus accompli, faut-il pour cela condamner en masse tout l’art chinois ? Proscrire n’est pas juger. Chacun de ces deux arts a ses mérites propres. L’art chinois est plus décoratif, l’art japonais est plus intime. Il y a plus d’effet, plus de somptuosité, plus d’éclat, et aussi plus de clinquant en Chine ; il y a plus de goût, plus d’imprévu, plus de variété au Japon. Les Japonais ne poussent pas tout au monstrueux et au chimérique. On sent que leur art s’est nourri de l’étude de la nature et qu’il a progressé, abandonnant graduellement les poncifs dont n’ont pas su s’affranchir les Chinois. Ceux-ci cependant ne méritent pas tant de dédain et de moqueries. Ils ont créé une architecture étrange, bizarre, mais typique et originale, que les Japonais