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encore. Le temps presse, à en juger par ces jeunes Japonais qui parcourent le Champ de Mars vêtus à la dernière mode européenne, par les statistiques du commerce anglais, qui affirment que les manufactures de Manchester exportent annuellement dans l’Inde — l’Inde, le pays de l’indienne ! — pour près de 20 millions de livres sterling d’étoffes de coton, enfin par l’exposition des colonies anglaisés de l’Australie, où on ne trouve que des produits agricoles et métallurgiques et des instrumens perfectionnés. Quelques idoles, qui n’ont plus d’idolâtres, sculptées en chêne, et de gros œufs d’émeu, verts et grenus comme du maroquin, montés en argent ciselé, sont les seuls objets pittoresques et originaux de ces sections. Si l’Australie anglaise est trop civilisée pour être pittoresque, les îles françaises de l’Océanie sont trop sauvages. Les Taïtiens et les Canaques en sont encore à l’état rudimentaire des contemporains de l’âge de la pierre. Quelques arcs, quelques casse-têtes de bois, une case construite avec de la boue et du chaume en forme de ruche d’abeille, à ceci se borne l’industrie des naturels des îles Gambier et de la Nouvelle-Calédonie. Pas de costumes, ces personnages ayant l’économique habitude d’aller tout nus.

Il n’y a qu’un bras de mer entre le continent australien et les îles de Java et de Bornéo, et cependant là c’est déjà la civilisation rectiligne du présent, ici c’est encore la civilisation touffue, étrange, somptueuse et extravagante du passé. Presqu’à égale distance du Japon, de la Chine et de l’Hindoustan, l’archipel malais reflète dans son art et dans son industrie la triple influence des Japonais, des Chinois et des Indiens. Ses maisons, ses pagodes, ses temples, ses huttes lacustres surélevées sur pilotis, affectent les formes de l’architecture chinoise : toits retroussés à silhouettes aiguës, minces colonnettes supportant des charpentes découpées à jour, figures et ornemens bizarres suspendus aux larmiers, ensemble de lignes horizontales, verticales et diagonales se coupant à angles droits ; mais par la sobriété des tons et le peu de valeur des matériaux, les constructions malaises se rapprochent de celles du Japon. Ce ne sont pas les tours de porcelaine, les appliques de faïences rutilantes, les chimères et les dragons d’or se tordant autour des colonnes ou courant le long des frises, les charpentes peintes en rouge vif, les toits de tuiles ou d’ardoises, des villes chinoises. Ce sont, comme au Japon, des cloisons de bois naturel, des ornemens de bambous, des toits couverts de chaume ou de roseaux. Java emprunte à l’Inde ses menus bijoux de filigrane d’argent, ses étoffes de perles de verre, ses soies et ses laines brochées d’or, mais il y a moins de surcharge dans le décor, moins d’éclat dans la couleur. D’ailleurs l’idéal de l’art malais semble le même que celui des sorcières de Macbeth ; « le beau est dans l’horrible. » La