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espagnol, fantassin grec, dragon suédois, moujik russe, marchand chinois, commis japonais, mécanicien anglais, violoniste tzigane, guitariste marocain, cabaretière frisonne, bar-maid américaine. Un tel voyage n’est-il pas plus intéressant, plus varié, plus fructueux que celui de cet Anglais légendaire qui, parti pour un voyage de circumnavigation, mais ayant trouvé à la première escale la nourriture du pays inférieure à la table du bord, n’était plus descendu à terre que de retour à Liverpool ?

C’est ce voyage rapide et varié que nous allons entreprendre. Nous nous embarquerons au Havre, sur un de ces magnifiques paquebots transatlantiques, aménagés avec tant de luxe et de confort, dont l’exposition nous, montre les modèles, et nous débarquerons dans quelque ville du Nouveau-Continent. Quand nous aurons parcouru les deux Amériques, l’Océanie, les vastes contrées de l’Asie et la côte d’Afrique, — l’empire de Russie, dont l’aigle à deux têtes symbolise la double souveraineté européenne et asiatique, nous servira de transition entre l’Orient et l’Occident, entre l’art des vieilles civilisations et l’art des nations modernes. Nous irons alors aux quatre coins de l’Europe, et la France, qui, étant ici chez elle, doit passer la dernière, marquera le terme de notre voyage. D’ailleurs, durant ce long trajet, à l’occasion d’une analogie ou d’une différence dans la manière ’de concevoir une décoration ou de travailler un métal, nous parlerons souvent de la France ; nous n’oublierons point les leçons de son art et de son industrie, et son souvenir ne nous quittera pas. Ainsi les navires qui voguent par les mers lointaines portent à leur grand mât la flamme française, ainsi le voyageur porte en lui la pensée de la France.


I

On sait que chaque pays qui occupe une place dans le vaste quadrilatère de fer et de verre du Champ de Mars s’est construit une façade spéciale, empruntée à son architecture nationale. C’est cette suite de façades qui se développent le long de la grande avenue de droite qu’on a nommée l’Allée des Nations. Nous pensons que l’idée qui a présidé à la décoration architectonique de cette allée était que chaque pays y reproduisît le type de son architecture nationale privée, ancienne ou moderne. Ce programme fécond et original n’a été suivi que par quelques états européens et par les pays orientaux. Les autres nations s’en sont plus ou moins écartées, soit, en s’inspirant servilement du style italien de la renaissance, soit en composant des façades en habits d’arlequin où le style de tous les pays et de toutes les époques est représenté, soit