Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/368

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce Dieu qui ne maudit pas, c’est le Dieu de l’Évangile, le Dieu que la langue sacrée appelle le sauveur, et qu’on peut appeler aussi, au sens terrestre, le libérateur du monde, car il n’y a pas de liberté possible ici-bas sans le respect de sa doctrine.

On ressent une singulière amertume lorsqu’on pense à la noble élite du parti libéral de ce temps-là et qu’on la voit si complètement opprimée par la tourbe inférieure. L’élite, c’est la rédaction du Globe, c’est M. de Rémusat, M. Vitet, M. Duchâtel, M. Jouffroy, M. Duvergier de Hauranne ; en dehors de ce recueil, ce sont les gens d’action et de parole, Casimir Perier et le général Foy. Ah ! si de pareils hommes avaient compris alors quelle force contient l’union du christianisme et de la liberté, s’ils n’avaient pas, comme leurs adversaires, séparé deux causes qui n’en font qu’une, quel service ils eussent rendu à la France ! Casimir Perier surtout, le plus puissant personnage de ce groupe, l’athlète colérique, mais généreux, qui devait plus tard soutenir avec tant de vigueur les assauts de la démocratie violente, — s’il avait pu avant 1830 élever plus haut la philosophie politique du parti libéral, quelle gloire serait plus complète que la sienne ? Ils n’avaient pour cela, ses amis et lui, qu’à se rappeler certaines paroles inscrites, si on peut le dire, au frontispice du XIXe siècle, les appels de Chateaubriand et de Mme de Staël, ces professions de foi si larges et si précises où deux esprits, venus des deux extrémités du monde des idées, proclament la nécessité d’unir la religion chrétienne et la liberté politique. Il y a bien un des chefs du libéralisme qui soupçonne quelque chose de ces hautes vérités. Benjamin Constant effleure le sujet dans son livre de la Religion (1824-1827), et il y revient encore aux dernières pages qu’il ait tracées de sa main. Qui donc a écrit cette déclaration : « Nous l’affirmons hautement, l’époque où les idées religieuses disparaissent de l’âme des hommes est toujours voisine de la perte de la liberté ; des peuples religieux ont pu être esclaves, aucun peuple incrédule n’a pu être libre. » C’est Benjamin Constant qui tient ce langage au risque d’étonner, j’allais dire de scandaliser les hommes de son parti[1]. Malheureusement, comme Rivarol avant lui, Benjamin Constant s’occupait de toutes ces choses sans que le fond de son âme parût y avoir part. C’était l’esprit seul qui parlait, on n’y sentait pas la flamme de la vie.

Un seul homme dans le parti libéral s’est élevé en ces matières plus haut que Benjamin Constant. Est-il besoin de nommer Royer-Collard ? Dans le temps même où Benjamin Constant publiait son grand ouvrage sur la religion, Royer-Collard prononçait à la chambre

  1. Du Polythéisme romain considéré dans ses rapports avec la philosophie grecque et la religion chrétienne, ouvrage posthume de Benjamin Constant, publié par Matter, 2 vol. in-8o ; 1833. — Voyez 2e vol. p. 91-92.