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baissait, on disait : Le rédacteur des articles bêtes se néglige, il faut le faire donner plus souvent. »

Ces traditions se sont renouvelées, de nos jours malgré la différence absolue des situations. Des gens d’esprit croient faire œuvre originale en suivant cette routine. L’excuse des libéraux de la restauration, c’est qu’il y avait alors un grand courant lamennaisien, et que le gouvernement même, au moins depuis la mort de Louis XVIII, ne semblait pas trop défavorable au tribun théocratique. Aujourd’hui, bien que tout ait changé, les vieilles polémiques ont reparu. On répète des plaisanteries séculaires, on emprunte des armes à l’antique arsenal gaulois comme s’il s’agissait des mêmes hommes que Molière ou Voltaire ont bafoués. Molière, s’il vivait de nos jours, ne changerait-il pas ses batteries ? dans le déplacement de toutes choses, ne verrait-il pas que le tartufe du XIXe siècle n’est plus à la même place que celui du XVIIe ? et Voltaire aussi ne penserait-il pas que les hypocrisies, les tyrannies, les barbaries, tout ce qu’il combattait si courageusement sous la loi de l’ancien régime doit être cherché désormais d’un autre côté ? S’en tenir à Voltaire dans un monde si différent du sien, c’est montrer qu’on n’entend rien à Voltaire. Supposez le grand justicier revenu au milieu de nous, il protesterait encore contre la législation inique dont Calas, Labarre, Sirven, ont été les victimes ; il remercierait encore Louis XVI d’avoir cassé l’arrêt et réhabilité le nom de Lally-Toltendal, il flétrirait encore, et plus que jamais, le crime de la Saint-Barthélémy ; mais, s’il concluait que toutes les Saint-Barthélémy sont hideuses, que toutes les terreurs sont abominables, que Danton, Marat, Robespierre font horreur à l’humanité, il y a une routine, soyez-en sûr, qui ne lui épargnerait pas les insultes. Les huées redoubleraient, si l’écrivain, ayant à condamner un coup d’état monarchique, se croyait obligé en conscience de condamner également les coups d’état républicains. Voltaire saurait alors que son œuvre est incomplète, que ses prétendus disciples ne le comprennent point, et, résolu à poursuivre l’iniquité sous ses transformations perpétuelles, il ajouterait plus d’une flèche à son carquois des vieux jours.

Ces principes dépassaient de beaucoup la portée de l’ancien libéralisme. La passion quotidienne se prête mal au travail intérieur de l’esprit. Une erreur qu’on défend chaque jour la plume à la main devient bientôt une conviction intraitable. Et ce n’étaient pas seulement les journaux de la gauche et du centre gauche qui faisaient du mot libéralisme un synonyme d’irréligion, la poésie même, une certaine poésie, prenait sa part de cette besogne maladroite et malsaine. Un chantre original, esprit acéré, imagination gauloise, à la fois prompt à la satire et capable d’enthousiasme, le poète qui le