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« C’est au gallicanisme qu’en veut surtout Lamennais, c’est contre ce vieux reste de l’ancien régime ecclésiastique qu’il dirige ses efforts. Sa puissante et brillante logique a facilement raison sur ce point. Mais, d’un bond, il se perd dans les excès contraires d’un ultramontanisme inconnu même à Rome. Il veut l’église non-seulement indépendante, mais dominante. Il reprend la théocratie de M. de Maistre, il essaie de faire une théorie sociale et politique d’un rêve un moment caressé par un grand esprit trop souvent chimérique. Il prétend faire revivre un moyen âge singulièrement idéalisé, qui lui apparaît comme l’œuvre directe et parfaite de l’église, la seule manifestation du dogme catholique. Il veut, dit-il, mettre en pratique les doctrines de la bulle de Boniface VIII et fonder partout des royautés chrétiennes, subordonnées au principat du souverain pontife. Dans ce système, le pape aurait mission et pouvoir de protéger les nations contre la guerre, l’anarchie et la tyrannie, jugeant les actes et proclamant la vérité en matière politique comme en matière religieuse, seul moyen, dit Lamennais, d’empêcher la dissolution complète des partis, des peuples et des gouvernemens, en leur fournissant une règle universelle pour diriger leur conduite et leurs opinions. Comme la société, depuis le moyen âge, n’a fait que s’éloigner de cet idéal, l’impétueux écrivain lui jette l’anathème et la déclare en contradiction avec le catholicisme. La législation française est à ses yeux « un mélange hideux d’impiété et d’anarchie. » La France, au lieu d’être « une monarchie chrétienne, » est une république démocratique « dont le principe est l’athéisme. » Il faut au plus vite supprimer la protection accordée aux cultes dissidens, rendre au clergé son rang et son autorité de premier ordre politique de l’état, lui restituer entre autres choses le droit exclusif de constater les actes de l’état civil, lui donner non pas la liberté, mais le monopole de l’enseignement, en un mot subordonner en tout la société temporelle à l’église, le gouvernement au pape : la théocratie seule peut nous sauver de la démocratie. »


Tel est le programme que Lamennais applique pendant six ans avec une violence inouïe (1824-1830). C’est de ce temps-là que date la guerre aux évêques, à ceux-là du moins qui ne subissent pas le joug des forcenés. Lamennais leur jette le sarcasme et l’insulte. Savez-vous comment il prépare l’oraison funèbre de M. de Frayssinous ? Voici ce qu’il écrit à un de ses amis : « Quand on aura tiré parti de cet homme, on crachera dessus, et son épitaphe sera faite. » Rome même, à ses yeux, « est le siège de la peur et de la faiblesse, » parce que Rome ne partage pas ses fureurs. Quant à la monarchie des Bourbons, s’il a cru d’abord pouvoir compter sur elle, il s’est étrangement trompé ; la monarchie est hypocrite et athée. C’est lui qui serait le vrai chef des esprits, lui, ou quelque