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ces noms bizarres et mystérieux, on pourrait se croire en 1790 à l’époque où l’abbé Fauchet, aidé de son ami Bonneville, fondait le club du Cercle social et le journal intitulé la Bouche de fer. Vraiment, à première vue, on ne peut savoir si la société de l’Anneau n’est pas une assemblée maçonnique comme le cercle de l’abbé Fauchet, et si les bandouliers, les Francs régénérés, les chevaliers du tropique, ne sont pas, comme les rédacteurs de la Bouche de fer, une nouvelle secte d’illuminés. Les doutes se dissipent quand on parcourt la liste jusqu’au bout. Voici l’Association royale du midi, l’Association bretonne, la Société des vrais amis du roi. Ce sont bien des sociétés royalistes, mais ce sont des sociétés secrètes d’allure toute révolutionnaire. N’est-ce pas un député de l’extrême droite, M. Agier, qui, dans un discours prononcé à la Société des Francs régénérés, exprimait ainsi le caractère de ces affiliations : « La Société des Francs régénérés n’est pas un club, puisque ses séances sont secrètes ; ce n’est pas une secte d’illuminés puisque son but est connu ; mais elle doit prendre des illuminés cette discrétion absolue qui est l’âme des petites comme des grandes affaires… Ce qui a commencé la révolution peut servir à la terminer ; c’est avec le feu qu’on guérit les blessures faites avec le feu. » On sait comment ce feu-là guérit les blessures de la France, il les élargit et les envenima de plus belle. Aux Francs régénérés et aux chevaliers du tropique, ce fut le carbonarisme qui répondit.

Ces sociétés secrètes ont d’ailleurs un organe très retentissant. Tout ce qui s’élabore chez les Francs régénérés trouve son écho dans la presse royaliste. Les publicistes du Drapeau blanc enseignent chaque jour que le but de la restauration est de ramener la France à l’ancien régime, non pas au régime de Louis XVI, déjà gâté par tant de concessions libérales, mais au pur régime du bon plaisir. Aux yeux de ces habiles politiques, il importe que les neuf dixièmes d’une grande nation soient frappés de déchéance par une minorité altière, que l’armée soit tenue pour suspecte, que la bourgeoisie voie s’agiter à toute heure la menace de l’aristocratie privilégiée. Voilà leur façon de faire de la propagande au service de leur cause. Et comment obtenir pareil résultat, la chambre de 1816 étant acquise aux idées de modération ? Comment obtenir que la nation soit annihilée, l’armée humiliée, la bourgeoisie muselée, l’aristocratie remise en possession de ces droits dont elle s’est dépouillée le 4 août 1789 ? Oh ! rien de plus simple, il n’y a qu’à briser la chambre et à rétablir l’autorité absolue du roi. Ils demandent donc un coup d’état, ces hommes de l’extrême droite qui ont tant crié, crié avec tant de raison contre les coups d’état du directoire. Ils le demandent si bien qu’ils ont là-dessus une théorie toute prête, et une théorie qui, comme une arme révolutionnaire, va frapper en pleine