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restauration. C’est aux premiers mois du régime nouveau, en 1814, que Chateaubriand a écrit ces paroles. La brochure d’où je les extrais porte ce titre, un peu long, je l’avoue, mais très expressif : Réflexions politiques sur quelques écrits du jour et sur les intérêts de tous les Français.

Les intérêts de tous les Français, la réconciliation des partis, l’accord de la révolution de 89 et de la tradition séculaire, oui, tel était bien pour tout homme sensé le programme de la restauration après cette double période d’anarchie et de despotisme. Carnot ne faisait-il pas à la même date la déclaration que M. Villemain appelle si justement un mémorable aveu : « Au retour des Bourbons, la joie fut universelle ; il n’y eut qu’une opinion, qu’un sentiment. Les anciens républicains, particulièrement opprimés, applaudirent franchement à la restauration[1]. » Carnot, Chateaubriand, c’est l’élite qui parle « pour tous les Français. » Encore une fois, voilà bien le programme de la pensée publique au lendemain de la chute de l’empire.

Il y en a un autre, daté du même temps, consigné dans le même ouvrage, et qui prouve mieux encore cette noblesse d’idées conservatrices et libérales sous la plume de Chateaubriand. M. Villemain n’en parle pas dans son ouvrage sur le grand polémiste de 1815, M. Thureau-Dangin ne le cite pas dans ses études si complètes sur les luttes de la restauration. C’est le cas de retrouver cette profession de foi et de la détacher tout entière du cadre qui l’étouffé. Une telle page ne doit pas rester enfouie au fond d’une brochure oubliée. Aujourd’hui encore, elle peut servir à plus d’un. Au milieu de nos fluctuations, dans le perpétuel va-et-vient de notre mobilité intellectuelle, il est des hommes de grand talent qui, ne voyant qu’un seul côté des choses, mais le voyant à plein et à fond, deviennent savamment injustes, au risque de provoquer les plus violentes injustices en sens contraire. A ceux-là comme à bien d’autres, il est bon de remettre sous les yeux cette page si vraie, si profonde. Voici ce que Chateaubriand écrivait en 1815 dans ses Réflexions politiques :


« Pourquoi ne pas le dire avec franchise ? certes, nous avons beaucoup perdu par la révolution, mais aussi n’avons-nous rien gagné ? N’est-ce rien que vingt années de victoires ? N’est-ce rien que tant d’actions héroïques, tant de dévoûmens généreux ? Il y a encore parmi nous des yeux qui pleurent au récit d’une noble action, des cœurs qui palpitent au nom de la patrie.

  1. Voyez Villemain, la Tribune moderne. M. de Chateaubriand, sa vie, ses écrits, son influence littéraire et politique, 1 vol., 1858. p. 261.