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qu’avait été depuis la révolution française le parti conservateur, j’entends ce parti dans toute l’ampleur des idées que représente son titre, le parti conservateur et libéral. Esprit loyal et droit, M. Thureau-Dangin ne pouvait se livrer à cette étude sans être frappé des fautes que le parti conservateur et libéral a commises pendant quatre-vingts ans ; il les expose, ces fautes désolantes, avec tant de franchise, tant de vigueur, avec un tel sentiment de regret pour ses amis, avec de tels mouvemens de confusion et de honte, qu’il semble faire sans le vouloir la confession du parti qui s’exprime ici par sa bouche.

La première, de ces fautes, c’est la division introduite dès le début dans son principe même. Se peut-il en effet que le parti de l’ordre se soit scindé depuis près d’un siècle en conservateurs et en libéraux ? Est-ce que les conservateurs ne se reniaient pas eux-mêmes en tenant la liberté pour suspecte, la liberté qui est ici comme en tout le sel de la terre, le principe de conservation et de vie ? Est-ce que les libéraux ne se condamnaient pas à de vides déclamations et à des actes stériles, quand ils laissaient en dehors de leur programme les fondemens de la destinée sociale ? Le premier ouvrage de M. Thureau-Dangin est consacré aux conservateurs séparés des libéraux, le second aux libéraux séparés des conservateurs. Ces hommes qui seraient si forts s’ils restaient unis, car ils représenteraient l’immense majorité de la France, on voit ce qu’ils deviennent quand ils se refusent à marcher de conserve ; on les voit, sans doctrines, sans lest, battus par tous les vents, jouets de tous les orages, donner au monde le plus triste spectacle que puisse offrir une société si riche d’ailleurs de cœur et d’esprit, le spectacle de l’incohérence et de l’insanité. Je voudrais profiter des recherches de l’auteur, et, ramassant les traits de cette vive peinture, y ajouter les conclusions qu’elle me suggère.


I

Le point de départ des études de M. Thureau-Dangin, c’est le 9 thermidor de l’an II. Avant la chute de Robespierre, avant le 27 juillet 1794, il ne s’agit ni de conservation, ni de liberté, il s’agit de renverser la monarchie absolue. Dans ce cataclysme effroyable, la liberté qu’on invoque sans cesse est sans cesse violée, et c’est à peine si un petit nombre de sages se préoccupent courageusement de ce qui doit être conservé des traditions du vieux monde dans la reconstruction du monde nouveau. Ces grands problèmes exigent des temps plus calmes et supposent la fin de l’horrible épreuve. De 89 à 92 et de 92 à 94, c’est la révolution seule