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et des chambres un autre accueil, un autre appui. L’indifférence dédaigneuse des ministres de droite, la molle, lente et timide bonne volonté des cabinets de gauche, un vote du parlement dans lequel quatre-vingt-neuf voix se prononcent même contre la proposition d’enquête, ce n’est vraiment pas assez, après ce que Florence avait fait pour l’Italie ! Ne parlons pas d’un passé qui est une des gloires les plus pures de la nation, un de ses titres au respect du monde ; en 1860, c’est la résistance obstinée de Florence aux désirs de la diplomatie européenne, c’est son enthousiaste abdication, qui ont empêché l’établissement du système fédératif et fait l’unité de l’Italie sous le sceptre de la maison de Savoie. On l’a trop oublié.

Sans doute les administrateurs de Florence, ses conseillers élus, ses journaux, la cité tout entière, ont des reproches à s’adresser ; il y a eu imprudence et entraînement irréfléchi ; mais aussi les circonstances, nous l’avons montré, ont été pour beaucoup dans les fautes commises. Le gouvernement, non plus, n’a pas fait son devoir envers l’une des premières cités de l’Italie ; il n’a su ni avertir, ni secourir à temps. Il eût été digne du parlement, lorsque la question de Florence lui a été soumise, de témoigner à la ville humiliée et souffrante une cordiale sympathie, en attendant mieux : la discussion a été terne et comme ennuyée ; on n’écoutait que d’une oreille. Plus d’un tiers de la chambre, en repoussant l’enquête, s’est même refusé à donner aux Florentins un témoignage d’intérêt qui ne préjugeait point l’avenir. Parmi ceux qui ont émis ce vote cruel, les uns ont voulu punir M. Peruzzi et ses amis de ce qu’ils appellent leur défection ; les autres ont cédé à de mesquines jalousies provinciales qui sont encore bien puissantes et bien vivaces en Italie.

Les uns et les autres ont eu tort ; ils paraissent, d’après le langage des journaux, le sentir aujourd’hui. Le ministère, s’il avait été plus franc et plus hardi dans ses demandes, aurait peut-être aussi obtenu, aurait arraché au parlement une résolution opportune et généreuse. En droit strict, l’Italie ne doit rien à Florence ; la raison politique et l’équité commandaient cependant de ne pas la laisser périr sans secours. Persister à méconnaître ce devoir, ce serait agir comme certain personnage de comédie, le héros de l’une des meilleures pièces de notre théâtre contemporain. Qui ne se souvient du chef-d’œuvre de Barrière, les Faux Bonshommes ? Il y a là un bourgeois capricieux, d’un égoïsme naïf et souriant, qui a fait la joie du public. Il change souvent d’idée, et chaque fois qu’on lui rappelle les espérances qu’il a données, les engagemens qu’il a semblé prendre, vous l’entendez répondre d’un air triomphant : « Il n’y a rien d’écrit ! »


GEORGE PERROT.