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créanciers. Si elle eût été avisée et vigilante, l’opinion aurait exercé, en ce sens, une utile pression sur les représentans officiels de la cité. C’est avec ces façons de grand seigneur que l’on s’est engagé dans la voie qui menait à la banqueroute ; depuis lors, l’occasion propice ne s’est jamais retrouvée.

Ce qui a encore contribué à endormir l’opinion, à ne pas lui laisser apercevoir tout d’abord les conséquences du transfert de la capitale, c’est que ce transfert a duré plusieurs années. Les ministères ne sont partis que l’un après l’autre, lorsqu’ont été prêts les locaux qui devaient les recevoir sur les bords du Tibre ; en 1877, certains services, certains bureaux s’attardaient encore à Florence. Si le vide s’était fait, à heure dite, dans la capitale délaissée, les plus prévenus auraient été forcés de comprendre la gravité de la situation nouvelle ; on aurait ralenti les travaux et restreint les dépenses ; mais, dans les premiers temps, il a semblé que rien n’était changé dans l’aspect et dans le mouvement de la ville ; on s’est laissé aller à continuer les entreprises commencées. C’est ainsi que depuis 1859 tout a tourné contre Florence ; la fortune a semblé vouloir épuiser contre elle toutes ses perfidies. Dans les années qui ont suivi la convention de septembre, pouvait-on soupçonner, au lendemain de Mentana, que, sitôt après, les Italiens entreraient, tambours battans, dans les murs de Rome ? Sauf peut-être celui qui menait le jeu de la politique européenne, qui donc alors pensait voir le second empire français se précipiter en aveugle, presque sans armes, sur le fer que lui tendait la Prusse ? Qui prévoyait ce suicide ? Quand Florence a remplacé Turin, elle n’a point été autorisée à se considérer comme la capitale définitive de l’Italie ; mais elle a pu penser que ce provisoire durerait plus de six années, qu’elle aurait le temps d’achever sa transformation et de rentrer dans ses déboursés avant d’être privée des avantages que lui assurait la présence du gouvernement. Les désastres de la France lui ont fait perdre son rang, et, après 1871, la lenteur de l’évacuation a entretenu ses illusions et lui a caché l’abîme où elle glissait.

Le gouvernement, qui vient de laisser Florence tomber en faillite, avait-il le droit de dégager ainsi sa responsabilité et d’assister, spectateur impassible, à un pareil désastre ? Nous ne le pensons pas ; et nous sommes surpris que, dans les séances des 9 et 10 mai 1878, où a été discutée la proposition d’enquête présentée par le ministère Cairoli, pas un député ne se soit placé à ce point de vue. La politique financière suivie en Italie depuis plusieurs années a certainement beaucoup aggravé les embarras où se débattent aujourd’hui la plupart des grandes communes italiennes. Cette politique peut se résumer en deux mots : se décharger sur les