Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/333

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demander. Prenons les chiffres de la commission d’enquête qui avait été nommée en 1877, sous le ministère Depretis, et qui était présidée par le sénateur A. Magliani, président de section à la cour des comptes. Voici ce qui résulte de son remarquable rapport[1]. Turin avait été indemnisé, en 1864, dans la proportion des 742 millièmes des dépenses que cette ville avait encourues comme capitale du royaume ; si l’on avait appliqué cette même proportion à Florence, Florence aurait dû recevoir, en 1871, 38 millions de livres. Or la loi du 29 juin 1871 ne lui a donné que 22 millions environ ; encore n’arrive-t-on à ce chiure qu’en y comprenant pour près de 8 millions les édifices, tels que palais nationaux et couvens incamérés, que l’état cédait au municipe la loi stipulait d’ailleurs que ces bâtimens seraient incessibles et inaliénables ; ils ne représentent donc pas pour la ville une valeur qu’elle puisse réaliser par échange ou par vente, et ils lui imposent de lourds frais d’entretien. Florence, d’après les commissaires enquêteurs, a donc reçu alors, au plus bas mot, 16 millions de moins qu’elle n’aurait dû le faire, si on avait suivi pour elle les mêmes règles que pour Turin.

Aujourd’hui la commission établit, par une série de déductions très bien enchaînées et d’ingénieux calculs, que l’on doit encore à Florence environ 40 millions ; c’est ce que représenteraient, avec l’élévation des cours actuels, les intérêts composés des sommes que l’on aurait dû lui donner et les conditions onéreuses des emprunts auxquels l’a contrainte l’insuffisance de la compensation accordée. C’est fort bien ; mais cette soulte, on ne paraît pas disposé à la lui donner ; personne n’aime à payer, surtout quand elle monte un peu haut, la carte d’un repas depuis longtemps digéré. C’était en 1871 qu’il fallait exiger la parité de traitement ; alors on aurait tout obtenu. Le parlement était tout entier à la joie inespérée d’aller à Rome, il éprouvait une sorte de pudeur à quitter de sitôt Florence après l’avoir induite en dépense ; il ne lui aurait pas marchandé les dédommagemens. Au lieu de présenter leur note, les Florentins ont sonné leurs cloches et se sont associés, en s’oubliant eux-mêmes, à l’enivrement général ; ils n’ont pas voulu paraître faire payer l’hospitalité qu’ils avaient accordée, pendant six ans, au roi et au parlement. Or cette hospitalité leur avait coûté cher ; avec toute sa gloire, Florence n’a, pour réparer ses pertes, ni la puissante industrie de Milan ou même celle de Turin, ni le grand commerce maritime de Gênes. Elle avait, à plusieurs reprises, assez prouvé son patriotisme ; elle eût été sage de songer un peu plus, dans cette heure critique, à ses propres intérêts et à ceux de ses

  1. Gazzetta ufficiale, 28 décembre 1877.