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robinet de Leur voisin, s’ils n’avaient qu’à parler pour jouir aussitôt des mêmes avantages, peut-être se décideraient-ils ; mais il faut s’entendre à plusieurs, former un syndicat, remplir des formalités. On attend donc, et ce n’est pas la gêne actuelle qui hâtera le mouvement. Jusqu’à nouvel ordre, la ville ne retire donc du louage des eaux qu’un très mince revenu.

Il s’est passé quelque chose d’analogue pour les marchés. Tous les étrangers qui ont séjourné quelque temps à Florence connaissent ce dédale de ruelles qui se croisent en tous sens, entre la via Tornabuoni et la via Calzaioli, dans le voisinage de l’archevêché ; les artistes surtout y font de fréquentes visites. C’est là qu’était au moyen âge, c’est là qu’est toujours resté depuis lors le principal marché de la ville, celui dont le poète Antonio Pucci nous a laissé une si curieuse description dans le poème qu’il lui a consacré, au commencement du XIVe siècle. Dans sa naïve admiration, le poète s’écrie, vers le début de son œuvre :

Mercato vecchio al mondo è alimemo
E ad ogni altra piazza il pregio serra.


« Le vieux marché nourrit le monde entier ; il emporte le prix sur toute autre place ! » Les peintres partageraient encore cette admirations rien de plus amusant et de plus varié pour l’œil que la foule animée et bruyante qui s’agite dans l’ombre de ces ruelles, que les gerbes de fleurs odorantes, les monceaux d’herbes et de légumes, les corbeilles de fruits rouges ou dorés qui s’entassent, ici dans les échoppes branlantes, là sur le sol même, où l’on peut à peine poser le pied. Par places, profitant de quelque étroite percée, de gais rayons de soleil pénètrent jusqu’au fond de ce fouillis ; ils éclairent quelque brun visage de campagnarde, entouré d’un mouchoir rouge noué sous le menton ; ils font ressortir les tons riches et chauds des figues violettes ou des pêches empourprées, des énormes grappes de raisin rose. Le soir, à la lueur vacillante des torches dont la flamme est battue et courbée par le vent, le spectacle est plus étrange encore. Ce qui ajoute à l’originalité des aspects, c’est que l’art florentin n’a pas dédaigné de mêler ses élégances à tout ce déploiement de vie rustique, charnelle, grossière. La loggia sous laquelle se vend le poisson a été dessinée par Vasari ; ses fines colonnes ioniques, ornées de médaillons qui représentent des dauphins, font un piquant contrasté avec les étaux et les masures qui les entourent. A chaque pas, le regard s’arrête sur un tableau tout fait ; il ne reste plus qu’à le transporter sur la toile.

On ne saurait s’étonner que l’administration municipale se soit placée à un point de vue quelque peu différent ; ce n’est point son