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une hâte fiévreuse. Héritant de situations troublées et confuses, ils professent ou ils affectent une confiance puérile dans l’efficacité des solennels exposés de principes et des décrets révolutionnaires : ils mettent à l’ordre du jour le patriotisme et la vertu, ils prétendent guérir en une heure des maux qui sont l’œuvre des siècles, ils croient aux remèdes secrets et aux panacées humanitaires, ils s’enivrent de leur parole ; leur autorité soudaine et précaire leur monte à la tête. Il ne dépend d’ailleurs point d’eux de méditer et de se recueillir. Les passions qui les ont poussés au pouvoir exigent des satisfactions immédiates. Le parti qui triomphe sent bien que ses mandataires ne peuvent pas compter sur le temps ; pourquoi leur ferait-il un crédit qui ne serait qu’une duperie ? Ainsi talonnés sans relâche par des impatiences et des défiances sans cesse renaissantes, ces malheureux gouvernemens, malgré le mérite personnel et les hautes qualités morales de quelques-uns de leurs membres, s’usent très vite dans une agitation presque toujours stérile. Quand ils ne disparaissent pas dans quelque catastrophe tragique, ils ont à lutter par les armes contre ceux mêmes qui les acclamaient quelques semaines plus tôt, ou bien c’est la raillerie qui les mine et les ébranle. Lorsque sonne pour eux l’heure de céder la place à des pouvoirs réguliers, les tribuns les plus populaires, les patriotes les plus ardens sont souvent à tel point discrédités qu’il ne leur reste plus qu’à s’effacer et à se perdre dans la foule, heureux si au bout de quelques années on leur rend justice, on leur tient compte de la pureté de leurs intentions, des fautes qu’ils ont évitées, de tout le mal qu’ils ont empêché.

Ces caractères communs, l’historien les trouverait, plus ou moins marqués, à peu près partout ; mais il distinguerait bien vite, entre ces pouvoirs de même titre et de semblable origine, des différences sensibles, qui tiennent soit aux circonstances, soit aux tempéramens divers des pays où ils sont nés. Pour n’indiquer ici que deux de ces nuances, ce serait peut-être en France qu’il rencontrerait les gouvernemens tout à la fois les plus honnêtes et les plus candides, les plus faciles à l’illusion, les plus éloquens, les plus prodigues d’allocutions brillantes et de phrases sonores. Chez les Italiens au contraire, chez ce peuple que, jusqu’à ces dernières années, nous connaissions et nous jugions si mal, on citerait plus d’un chef issu de la révolution qui est resté assez maître de lui-même, assez avisé d’esprit, assez sobre de proclamations et de promesses pour que sa popularité ait survécu à sa dictature éphémère et que son œuvre n’ait pas été emportée par une violente réaction. Ce n’est pas, est-il besoin de le dire ? à Garibaldi que nous songeons. Dans le royaume des Deux-Siciles, le hardi conquérant s’est livré à une véritable débauche de paroles imprudentes et