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est une fête à Versailles, la ville natale de l’héroïque jeune homme, et il est aussi l’occasion recherchée, préparée, d’une de ces réunions où la politique s’invite elle-même à l’abri des souvenirs de patriotisme. Les circonstances changent seulement. L’an dernier, cet anniversaire de la naissance de Hoche était célébré au milieu des luttes les plus violentes, au lendemain de la dissolution de la chambre, avant la bataille des élections, et les discours ressemblaient à des déclarations de guerre. Cette année, tout s’est passé paisiblement comme au lendemain d’une victoire, et le banquet traditionnel, présidé par M. Feray, inauguré par un toast à M. le président de la république, s’est terminé par un de ces discours que M. Gambetta fait quelquefois quand il est bien inspiré, quand il peut se défendre à demi des excitations du dehors et des emportemens de parti.

Au fond, dans ce discours d’une éloquence chaleureuse, d’une véhémence savamment contenue, il y a particulièrement sur deux ou trois points des paroles dont M. Gambetta devrait toujours se souvenir, dont il devrait faire un programme et une règle, et qu’il pourrait rappeler souvent à bon nombre de ses amis. Les combats de l’an dernier sont finis, ils se sont terminés mieux qu’on ne pouvait l’espérer, et M. Gambetta, en constatant que c’est la France qui a vaincu, ne craint pas de dire noblement qu’on doit « se montrer clément au lendemain du succès ; » il ajoute que la clémence n’exclut pas le sentiment de la force, qu’il en est au contraire inséparable et il fait consister cette force accompagnée de clémence à « frapper peu, mais juste. » Fort bien ! Il n’y a qu’un mot de trop qu’il faudrait effacer, qui ne serait qu’une infatuation arrogante et offensante, qui n’appartient pas à la politique. Il ne s’agit pas de « clémence » entre des adversaires qui se retrouvent chaque jour face à face dans le parlement comme dans la nation. On n’est pas « clément, » parce qu’on reconnaît le droit de toutes les opinions, de toutes les dissidences, et même de toutes les oppositions. M. Gambetta a voulu dire sans doute que la modération est la vertu la plus nécessaire, quoique la plus difficile, des partis victorieux, et rien n’est certes plus juste. Oui vraiment, la modération dans le maniement des choses et des hommes est la meilleure et la plus prévoyante des politiques ; elle est nécessaire à toutes les époques, elle l’est surtout dans un temps, dans un pays où tous les partis ont été tour à tour vainqueurs ou vaincus, où tous les gouvernemens se sont succédé, laissant des souvenirs, et où le dernier régime qui survit hérite de tout un passé avec lequel il doit compter.

Cette république qui existe aujourd’hui, qui a triomphé de bien des résistances et de bien des préventions, qui a le mérite d’être le seul régime possible, cette république, on veut sans doute la fonder régulièrement et lui donner la durée. Croit-on qu’on la fera vivre en la dotant d’anniversaires de guerre civile, en la confondant avec des souve-