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Bismarck le fut jadis pour la commune ; nous ne chercherons pas à découvrir dans leur attentat « un noyau de raison. » Les assassins comme les incendiaires politiques méritent peu de pitié ; il faut laisser à leurs avocats le soin de leur trouver des circonstances atténuantes. Ils déshonorent les idées qu’ils prétendent servir, ils sont les héros du crime inutile et bête. Quant aux socialistes très nombreux qui n’ont jamais assassiné personne ni brûlé aucun édifice public, nous ne savons si M. de Bismarck a pris les meilleurs moyens de déjouer les efforts de leur active propagande. Le socialisme serait moins redoutable, nous l’avons dit, s’il ne mêlait à ses utopies, à ses erreurs, des idées généreuses qui, méconnues des sages, se sont réfugiées chez les fous, dont elles font prospérer l’industrie. Nous doutons qu’on ait raison de la démocratie sociale par des mesures exceptionnelles, plus tyranniques et plus blessantes qu’efficaces, qui transforment les juges en prévôts et les condamnés en martyrs. Les fous qu’on met hors la loi n’ont-ils pas le droit de se vanter qu’ils souffrent persécution pour la justice ? Nous doutons aussi que les réformes économiques projetées par M. de Bismarck, le rachat et l’exploitation de tous les chemins de fer par l’état, le retour au régime protectioniste, soient un excellent antidote contre les idées fausses, contre les mauvaises passions qu’il se propose d’extirper. Vous ne combattez pas le socialisme, vous en faites, et le socialisme d’en bas n’a jamais eu d’allié plus utile que le socialisme d’en haut. Comme le remarquait l’autre jour un sagace économiste, M. Paul Leroy-Beaulieu, « la théorie protectioniste, qui n’est pas autre chose que la proclamation du droit aux bénéfices, entraîne naturellement la reconnaissance du droit au travail. »

Après tout, M. de Bismarck est fort indifférent aux questions de doctrine, il est le moins doctrinaire des hommes. En toute chose, il ne regarde qu’aux résultats, et en matière d’économie politique il ne prend guère au sérieux que la prospérité du fisc. On peut lui reprocher d’avoir été oscillant, décousu, dans sa politique intérieure, on pourrait écrire l’histoire de ses variations ; mais sur certains points il n’a jamais varié, et il est des intérêts qu’il n’a jamais perdus de vue. Il a toujours voulu créer à l’empire qu’il avait fondé des ressources financières qui le rendissent indépendant du bon ou mauvais vouloir des états particuliers. Un autre objet lui tient singulièrement au cœur ; il entend que le budget de la guerre, définitivement fixé, soit soustrait aux délibérations du parlement. Quand il aura atteint ce double but, quand il aura conquis à la pointe de l’épée l’indépendance financière et militaire de l’empire germanique, il sera content de lui et des autres. Nous ne croyons pas que l’empereur Guillaume ait des opinions très arrêtées touchant le système protecteur et l’utilité des impôts indirects ; mais, comme son premier ministre et encore plus que lui, il désire ardemment que l’armée