Si, se mêlant à l’auguste assemblée, quelque grand ou petit prophète avait assisté à cette cérémonie, si, éclairé d’une lumière miraculeuse, il avait annoncé que huit ans plus tard Guillaume le victorieux serait exposé à d’odieux attentats, que huit ans plus tard, au cœur de sa capitale, ce vieillard respecté et respectable devrait deux fois en trois semaines disputer sa vie à des assassins, et que ces assassins ne seraient ni des Danois, ni des Autrichiens, ni des Alsaciens, ni des vaincus, ni des annexés, mais qu’ils appartiendraient à la race des annexans et des vainqueurs, qu’ils seraient de vrais Allemands tout chauds du désir d’ôter la vie à leur empereur, assurément Balthasar n’aurait pas mis au cou du nouveau Daniel un collier d’or et ne l’aurait point vêtu d’écarlate. Il est à présumer qu’il l’aurait chassé comme un misérable fou, en le priant d’aller délirer et vaticiner ailleurs. Non, le 18 janvier 1871 aucun des princes de la famille royale, aucun des dignitaires et des grands vassaux de l’empereur d’Allemagne n’a vu une main mystérieuse tracer sur les murs du château de Versailles des mots terribles et menaçans ; aucun d’eux n’a vu se refléter dans l’une des arcades de la galerie des glaces, parmi les pilastres, les chapiteaux dorés, les trophées de bronze et les guirlandes, les sinistres figures de Hœdel et de Nobiling. Qui pouvait croire qu’après de tels succès, après de tels services rendus à la grandeur de son pays, un monarque si triomphant et si populaire serait en butte à ces haines sauvages qui ont soif de sang et qui hasardent tout pour en boire ? Qui pouvait penser que les derniers jours d’un règne si glorieux, en faveur duquel la fortune semblait avoir épuisé toutes ses complaisances, seraient assombris par d’atroces forfaits ? Il en va ainsi. On se flatte de posséder les secrets de la Providence, d’avoir lu dans ses conseils, d’être à la fois son confident et son mandataire ; on cause familièrement avec elle, on se charge d’annoncer au monde ses volontés, et pourtant on ne prévoit ni Hœdel ni Nobiling. On se croit protégé par l’éclatant prestige de la victoire, par la reconnaissance de tout un peuple, par l’autorité que donnent les longs bonheurs, et déjà l’homicide pensée a germé dans la tête d’un fanatique. Elle y couve lentement dans la nuit, le crime est près d’éclore, et demain l’assassin, qui se prend pour un Guillaume Tell, s’écriera comme lui : — « Mon serment est une dette sacrée, je la paierai. C’est un noble gibier que je guette. Si le chasseur risque mille fois sa vie pour atteindre un misérable chamois, il s’agit ici d’une proie plus précieuse, je vise au cœur de mon ennemi. Devant moi défilent le marchand soucieux, le pèlerin à la ceinture légère, le moine dévot, le joyeux ménétrier, le colporteur et son cheval pesamment chargé. Ils passent tous leur chemin, ils vont à leurs affaires ; mon affaire à moi, c’est de tuer. »
Les attentats du 11 mai et du 2 juin ont produit en Allemagne la