Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hautains d’Innocent III, le trône de Pierre s’élevant au-dessus de tous les trônes dans les mêlées obscures et sans trêve du moyen âge, tout cela tenait haletante la pensée de notre artiste, ouverte désormais à la compréhension des grandes choses humaines, des spectacles compliqués de la vie.

Mon ami prit un intérêt immense, et de tout son cerveau, et de toutes ses entrailles, à suivre l’idée catholique se répandant des bords du Tibre aux extrémités de l’univers, domptant les peuples, brisant les rois, pliant les volontés, broyant les résistances sur son passage « comme la meule fait le froment. » Que de tableaux il entrevit à la lueur de ces coups de foudre, dont la papauté ne se montra jamais avare pour protéger les intérêts du ciel, qu’à toutes les époques elle se plut à confondre avec les intérêts misérables de sa puissance et de son orgueil ! Dans ce combat furieux des souverains pontifes, les bras toujours levés pour pétrir le monde à leur guise et lui imposer leur empreinte, un sujet parut attachant entre tous à Jean-Paul Laurens : l’Excommunication. Rome excommuniant les princes, excommuniant les nations, suspendant les affaires humaines, arrêtant la vie dans les pays avec lesquels elle entretenait des démêlés, quelle page ! Il fouilla notre histoire nationale et peignit coup sur coup, la colère au bout du pinceau, deux œuvres qui constituèrent son exposition de 1875 : l’Excommunication de Robert le Pieux, — l’Interdit.

Avec Robert, nous sommes dans une salle du palais. Cette salle, de proportions monumentales, large comme une église, paraît encore plus vaste, vidée qu’elle vient d’être par la foule des courtisans et des varlets. Tout à l’heure, le roi et la reine, seuls maintenant dans ce désert, assis sur le trône en des attitudes de consternation et de désespoir, se réjouissaient au milieu de la cour en fête, bruissante comme une ruche, se complaisant aux joyeux devis. Quelle catastrophe est donc survenue ? Pourquoi ce sceptre par terre ? Pourquoi ces bancs, où les coussins de velours gardent encore les empreintes molles des grands officiers et des belles dames, apparaissent-ils dépeuplés ? Que signifie ce cierge, long comme un cierge pascal, renversé brutalement de son haut chandelier de cuivre, bavant sa cire fondue sur les dalles, empestant l’air de sa fumée ?

L’église est passée par là.

En effet, à droite, dans l’ombre transparente d’un arceau à plein cintre, disparaissent des personnages vêtus d’habits sacerdotaux. En avant, la croix, portée par quelque moine qu’on ne voit pas ; puis un religieux en simple bure ; puis un prêtre en dalmatique ; puis, fermant le cortège, mitre en tête et crosse en main, enveloppé d’une chape aux plis onctueux et lourds, le légat a latere,