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LE
ROMAN D'UN PEINTRE

DERNIERE PARTIE[1]


XIV.

Trois ans de vie assurée, et de vie assurée à Paris, c’était pour Laurens plus de bonheur qu’il n’en avait jamais espéré. Aussi avec quelle ardeur se mit-il au travail ! Exact aux leçons de l’École des Beaux-Arts, assidu à l’atelier Cogniet, attentif surtout au Louvre, où il faisait trois ou quatre stations chaque semaine, s’enivrant de la vue des chefs-d’œuvre, se grisant aux créations merveilleuses de Véronèse, de Titien, de Ribeira, il menait une existence d’activité morale extrême, ne respirant que pour la peinture, qu’il aimait davantage à mesure qu’il la connaissait mieux.

De cette contemplation enthousiaste des maîtres, de ce labeur quotidien acharné devait résulter une première œuvre pleine de promesses. Au salon de 1863, notre jeune artiste exposa la Mort de Caton d’Utique. Ce tableau, auquel le jury décerna une mention honorable et qu’on peut voir au musée de Toulouse, représente Caton assis au bord de son lit, le buste droit, s’enfonçant un poignard dans les entrailles. La sombre résolution d’en finir avec la vie, la douleur inséparable des derniers instans sont exprimées sur le visage du farouche stoïcien avec une surprenante énergie de pinceau. Laurens indiquait déjà ce qu’il pourrait quand l’étude patiente de l’homme, la connaissance des secrets intimes de son art

  1. Voyez la Revue du 1er et du 15 juin.